Pierre Kalfon vient de décéder à Paris, après de longues années au service des dialogues franco-latinos

Ancien correspondant du Monde au Chili sous la présidence de Salvador Allende, témoin privilégié du coup d’État du général Pinochet, écrivain et diplomate, grand passeur entre l’Amérique latine et la France, après avoir contribué au rayonnement de la culture française dans le sous-continent, Pierre Kalfon est mort le lundi 14 octobre, à Paris, à l’âge de 89 ans. Il avait collaboré durant plusieurs années avec notre rédaction et était intervenu à plusieurs reprises à nos différents festivals.

Photo : Wikicommons

Dans son appartement près de la Grande Mosquée de Paris, il a encadré la « une » du Monde où il annonçait l’imminence d’un putsch militaire contre la gauche chilienne au pouvoir depuis 1970. Les Français suivent alors avec grand intérêt cette expérience d’union de la gauche. Directeur de l’Alliance française à Santiago depuis 1967, professeur à l’université du Chili et à l’Université catholique, Pierre Kalfon est sollicité à la fois par Le Monde et Le Nouvel Observateur (dans l’hebdomadaire, il signe ses correspondances avec un pseudonyme). L’empathie avec laquelle il couvre les événements ne l’empêche pas de rester lucide. Après le coup d’État du 11 septembre 1973, il prend des risques et aide des amis poursuivis à trouver refuge dans une ambassade. Il finit par être arrêté et expulsé du pays. Pierre Kalfon reste à tout jamais marqué par le Chili, et songe même à bâtir une maison dans le désert d’Atacama. Il en tire deux ouvrages : Allende, Chili 1970-1973 (Atlantica, 1998), traduit en espagnol et porté à l’écran par Patricio Henriquez (Le Dernier Combat de Salvador Allende, 1998) ; L’Encre verte de Pablo Neruda : Chroniques chiliennes (Terre de brume, 2003 ; Démopolis, 2008).

Souffle romanesque

Né à Oran le 1er avril 1930, dans une famille juive, Pierre Kalfon « monte » à Paris pour faire hypokhâgne au lycée Lakanal, où il s’approche du Parti communiste français. Outre des études supérieures de lettres, il s’inscrit à Sciences Po. Sa découverte de l’Amérique du Sud commence à Buenos Aires, où il dirige l’Alliance française. Ce coup de foudre se traduit par un premier livre, Argentine (Seuil, 1967), pétillant d’intelligence, dans la collection « Petite Planète » dirigée par Chris Marker.

A l’instar du Chili, l’Argentine reste une terre d’élection, comme le prouve son unique roman, Pampa (Seuil, 2007, prix Joseph-Kessel), un western sud-américain au souffle romanesque soutenu par une plume élégante, aussi documenté que ses autres ouvrages. Il est inspiré par l’histoire véridique d’un Français tenu en captivité par les Indiens, au XIXe siècle.

L’Unesco et des postes d’attaché culturel lui permettent d’effectuer de nouveaux séjours et missions en Uruguay, en Colombie, au Nicaragua et au Guatemala. Il a le plaisir de retrouver un poste à l’ambassade à Santiago du Chili, après le retrait de Pinochet. Ainsi, il vit vingt-cinq ans en Amérique latine. Il cosigne Les Amériques latines en France (Gallimard, 1992).

« L’alchimie particulière » du Che

Enfin, Che : Ernesto Guevara, une légende du siècle (1997 et 2017), traduit en espagnol et italien, s’attaque à l’icône latino-américaine par excellence. Sa recherche est à la base du documentaire El Che, réalisé par Maurice Dugowson (1997). Cette copieuse biographie, puisée à des sources écrites et à des témoignages, veut éviter l’hagiographie, sans pour autant renoncer à la bienveillance. Certes, l’auteur prend ses distances à l’égard des théories du guérillero et dirigeant de la révolution cubaine, qu’il assimile à la logomachie marxiste. Son radicalisme lui semble à la fois une force et une faiblesse. Et son esprit de sacrifice est trop janséniste à son goût. Mais il admire « l’alchimie particulière » qui aurait permis au Che de réconcilier Marx et Rimbaud.

Pierre Kalfon est un conteur inné, qui transforme la matière pour mieux la transmettre à ses lecteurs ou à ses interlocuteurs. Chez lui, la gouaille méditerranéenne se mêle à des mots d’espagnol dès qu’on convoque ses souvenirs. Il suffit d’un rien pour le rendre intarissable : « J’ai assisté à l’arrivée des troupes américaines à Oran pendant la seconde guerre mondiale. J’emmenais les GI au bordel sans savoir ce qu’ils y faisaient, j’étais trop petit. En échange, je recevais du chewing-gum et des bonbons… »

Il y a quelques mois, il nous avait téléphoné pour nous demander de lui transmettre par mail des copies de ses contributions dans Nouveaux Espaces Latinos car il voulait laisser un dossier complet de son travail de médiateur à ses petits-enfants pour qu’ils soient fiers del abuelo… La conversation nous a fait beaucoup rire.

J. E. et Dépêches

Pierre Kalfon en quelques dates : 1er avril 1930 Naissance à Oran / 1967 « Argentine » / 1973 Couvre pour « Le Monde » le coup d’État militaire au Chili / 1997 « Che : Ernesto Guevara, une légende du siècle » / 14 octobre 2019 Mort à Paris.