« Como el Uruguay no hay », « Il n’y a rien de pareil à l’Uruguay » – : 27 octobre, présidentielles avec képi

Como el Uruguay no hay – « Il n’y a rien de pareil à l’Uruguay » – est un dicton répété en boucle depuis des années dans la « Province Orientale ». Les Uruguayens n’ont-ils pas dit « Non » au projet constitutionnel de la dictature militaire en 1980 ? Le personnage témoin de la résurgence démocratique n’était-il pas un général, Seregni, au prénom on ne peut plus républicain, « Liber » ? Les Uruguayens n’ont-ils pas choisi en 2010 comme Chef de l’Etat, José « Pepe » Mujica , un ancien guérillero ?

Photo : AS/COA

La candidature présidentielle d’un général de haut rang, Guido Manini Rios, le 27 octobre 2019, a quelque peu terni cette image de démocratie civile, apaisée et majeure. Sorti du néant partisan, candidat d’émotion, Guido Manini Rios Stratta, est pourtant crédité de 8 à 10% des intentions de vote. L’Uruguay ne serait-il pas banalisé par une candidature qui est venu rappeler que le passé de la dictature militaire n’a jamais été bien cicatrisé.

Comme au Brésil, la transition s’est appuyée sur une mauvaise conscience collective assumée. Les militaires auteurs de crimes, loin d’être poursuivis, ont été amnistiés. Les référendums visant à abolir comme en Argentine les lois de pardon ont été perdus par leurs initiateurs. Certes il y a un mur des disparus à Montevideo. Le Monument est symbolique, planté dans un parc boisé et silencieux autorisant le recueillement. Il est en effet bien loin du centre ville. En périphérie d’un quartier populaire, à flanc de colline, dominé par le musée militaire installé dans la forteresse coloniale du Cerro.

Cette amnésie collective a été déchirée il y a quelques mois par un officier. Les révélations de José Gavazzo, c’est son nom, ont mis en cause les forces armées pour l’assassinat sordide d’un opposant tupamaro, Roberto Gomensoro, pendant la dictature. Un tribunal militaire d’honneur a examiné l’affaire, à huis clos. Et décidé de ne pas y donner de suite judiciaire. Les révélations d’un quotidien, « l’Observador », le 30 mars 2019 ont rompu l’omerta militaire.

Guido Manini Rios Stretta , chef d’Etat major de l’armée de terre, et six généraux, membres du Tribunal d’honneur ont été limogés le 1er avril par le Chef de l’Etat. Le président, Tabare Vazquez, constatant que « pour la première fois le pacte de silence au sein des armées » avait été rompu » et qu’en dépit de la gravité des faits, la justice n’avait pas été saisie, a également exigé la démission du ministre de la défense, Jorge Menéndez, et du vice-ministre, Daniel Montiel.

Vent debout, l’ex-chef d’Etat major des l’armée de terre, a défendu l’institution militaire. Il a publiquement accusé les juges de « faire preuve de partialité quand les accusés sont des soldats ». Il a gravement pris à partie le Chef de l’Etat, qu’il a traité « de canaille, fragile et irresponsable ». Et annoncé sa candidature aux présidentielles. Pour défendre l’honneur des armées. Mais aussi leur statut social privilégié. Il avait déjà effectué 30 jours d’arrêt de rigueur en septembre 2018 pour avoir publiquement critiqué la loi de réforme des retraites militaires adoptée par le gouvernement. Dans la foulée il a revendiqué une révision de la politique de sécurité publique. La société uruguayenne, a-t-il déclaré en présentant sa candidature présidentielle, « est en état de peur généralisée », du fait de « violences criminelles ». Rejoignant là l’élément central de la campagne présidentielle du Parti national, parti traditionnel de centre droit.

Bien que sa femme soit une élue locale du Parti national, il a fait de son limogeage une affaire personnelle. Il s’est placé en première ligne électorale sous les couleurs d’une formation peuplée de nostalgiques de la dictature, « Cabildo abierto ». Certains de ses adversaires le qualifient de Bolsonaro uruguayen. Il a bien rencontré Jair Bolsonaro, à Brasilia, le jour de sa prise de fonction, le 1er janvier 2019. Mais il ne semble pas qu’il ait eu d’autres contacts. La parenté est professionnelle, et idéologique. Tous deux sont représentatifs d’un pouvoir militaire réactionnaire, porté par les vents de la crise économique.

Certes l’Uruguay n’est pas en croissance zéro comme le Brésil. Mais son économie, en berne, n’est plus en mesure de créer des emplois. La jeunesse, première affectée, se tourne vers le pouvoir. Celui de la gauche, du Frente amplio, aux commandes depuis 15 ans. Identifiée à deux quasi octogénaires, « Pepe » Mujica et Tabaré Vasquez. Elle est massivement descendue dans la rue à Montevideo le 27 septembre pour défendre les droits LGTB. Bannières arc en ciel au vent, hors de toute référence partisane. Paradoxalement Guido Manini est porté par un désir de changement insatisfait. Tout autant que par les cercles de militaires retraités qui quadrillent le pays.

Ses 8/10% en tous les cas vont peser lourd dans les urnes. Les droites traditionnelles font jeu égal avec la gauche. Le Parti national, proches des thèses sécuritaires du militaire, s’efforce de valider la pertinence d’un pacte à trois (libéraux/colorados + nationaux/blancos + Cabildo abierto) dans la perspective d’un probable deuxième tour le 24 novembre.

Jean-Jacques KOURLIANDSKY

Candidats principaux, sondage El Pais (18 octobre 2019) :

  • Daniel Martinez : Frente amplio =38%
  • Luis Lacalle Pou : Parti National= 27%
  • Ernesto Talvi : Parti Colorado=12%
  • Guido Manini : Cabildo abierto= 10%