Une colonie mennonite en Bolivie, au coeur du dernier roman de Miriam Toews

Dans une colonie mennonite, quelque part en Bolivie, entre 2005 et 2009, huit hommes ont drogué femmes, adolescentes et même enfants pour les violer. On expliquait ensuite à ces femmes analphabètes (leur religion le leur imposait) que c’était l’œuvre du diable et la rançon de leurs péchés. À partir de ces horreurs, Miriam Toews, elle-même née dans une communauté mennonite canadienne, a imaginé comment, les jours qui ont suivi l’arrestation des coupables, et en attendant leur probable retour grâce à une caution payée par les autres hommes, certaines victimes se réunissent secrètement pour envisager leur futur.

Photo : Carol Loewen

August Epp est né dans la colonie, mais ses parents en ont été exclus, ce qui a permis au garçon d’apprendre d’autres langues que le plantdietsh, celle parlée exclusivement sur place, mélange médiéval de langues d’Europe centrale, puis de faire des études universitaires, avant de réintégrer la colonie. Il est donc le seul homme à pouvoir noter, puis transcrire en anglais les paroles échangées par les femmes au cours de leur conseil secret.

Livrées pour la première fois à elles-mêmes, elles parlent sans lignes clairement tracées, de choses et d’autres, sans omettre les trois options qui s’ouvrent à elles : rester sans rien changer, au retour des hommes, quarante-huit heures plus tard, quitter la colonie ou y rester et se venger. Mais la décision est bien trop lourde pour être prise en quelques heures. Les deux jours seront nécessaires.

Comme le dit l’une d’elles, ce sont « des femmes sans voix (…), des femmes en dehors du temps et de l’espace », elles ne parlent même pas la langue du pays qu’elles habitent. La prise de conscience est lente, presque douloureuse, toute leur existence a été organisée pour qu’elles soient sans existence. Découvrir soudain que c’est faux est source d’une immense angoisse.

Qu’il est difficile de faire craquer le carcan d’une éducation aussi réductrice: elles ont beau vouloir s’évader (au moins par l’esprit), leur acquis refait surface : les hommes sont faits pour labourer la terre, les femmes pour se taire. Alors soudain prendre son envol semble inimaginable. August, qui ne sait pas labourer, qui n’a ni femme ni enfants, n’étant pas véritablement un homme, peut sans problème être présent dans cette assemblée exclusivement féminine.

Dans ce beau texte austère, sont évoqués l’obéissance, la culpabilité, l’éducation, l’espoir, la résilience, la prédestination, la responsabilité et, bien sûr, la foi. Autant dire qu’il parle en profondeur à chacune, à chacun de nous.

Christian ROINAT

Ce qu’elles disent de Miriam Toews, traduit de l’anglais (Canada) par Lori Saint-Martin et Paul Gagné, éd. Buchet-Chastel, 232 p., 19 €.

Miriam Toews est née en 1964 dans une communauté mennonite du Manitoba, au Canada. Elle est l’autrice de plusieurs romans et a été lauréate de nombreux prix littéraires, notamment du Governor General’s Award. Elle vit au Canada. Ce qu’elles disent est son premier roman à paraître chez Buchet/Chastel, et le troisième à paraître en France après Drôle de tendresse (Seuil, 2006) et Pauvres petits chagrins (Bourgois, 2015).