L’accord de libre-échange avec le Mercosur : un cheval de Troie en Europe ?

Le nouveau traité de libre-échange, censé faire économiser plus de 4 milliards d’euros en droits de douane, a été accueilli avec inquiétude par les écologistes et les producteurs du Vieux Continent. Après la Pologne et la Roumanie, voici la crainte des produits sud-américains…

Photo : FranceInfos – Osaka

C’est sans aucun doute un accord «historique», selon Cécile Malmström, la commissaire européenne au commerce, Phil Hogan, son collègue à l’agriculture, et Jorge Faurie, le ministre argentin des Affaires étrangères. Le 28 juin, après vingt ans de négociations, l’Union européenne et les quatre économies émergentes de l’Amérique du Sud (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay) ont signé le texte final de la très controversée alliance commerciale. Celle-ci devrait entrer en vigueur en 2022, à condition d’être entérinée à l’unanimité par les vingt-sept États membres de l’Union européenne, et par le Parlement, dans les prochains mois.

Cet accord apparaît crucial à de nombreux titres, alors que le monde est confronté à des défis majeurs concernant le réchauffement climatique. En effet, jugé trop risqué pour l’environnement, l’accord sème la discorde même dans les hautes sphères du pouvoir. Ainsi le ministre de l’Agriculture français, Didier Guillaume, déclarait : «Je ne serai pas le ministre qui aura sacrifié l’agriculture française sur le trait d’un accord international.» De son côté, Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat, estime que cet accord «est une double capitulation, sociale et environnementale». Et pour l’ex-ministre de l’Écologie Nicolas Hulot, l’accord avec le Mercosur est «complètement antinomique avec nos ambitions climatiques et le libre-échange est à l’origine de toutes les problématiques écologistes».

Voila le sentiment partagé par tous : on est en train d’ouvrir les portes à des pays qui n’ont pas le même niveau d’exigence en matière de santé publique et donc leurs produits ne sont pas traités de façon égalitaire face à l’Union européenne. En outre, on va avoir un déversement de tonnes de produits qui vont évidemment affaiblir les agriculteurs européens, et c’est la raison pour laquelle certains pensent encore que ce projet n’aboutira pas.

Cependant, Emmanuel Macron a rappelé sa volonté de mettre en place le traité car il «est bon, compte tenu du fait que les préoccupations de la France ont été intégralement prises en compte», a déclaré le chef de l’État tout en soulignant le fait que le Brésil s’est engagé à respecter l’accord de Paris sur le climat. Cet accord apporte donc son lot d’inquiétudes et d’interrogations. Interrogations sur une éventuelle invasion de viande, de céréales, de bois et de sucre sud-américains, mais aussi sur la continuité du soutien aux producteurs européens et les politiques en matière d’environnement.

Et ces questions, les pays du Mercosur n’ont nul besoin d’y répondre dans un contexte de croissance molle et dans un moment de sortie de crise, tandis qu’en Europe l’application du traité de libre-échange, avec la suppression de quasiment tous les droits de douane, apparaît dans une certaine mesure comme une sanction envers ses agriculteurs (même si le rapport est dérisoire : 160 000 tonnes de bœuf exportées par le Mercosur, contre 7,8 millions de tonnes produites chaque année dans l’UE).

Il a en effet été beaucoup question d’inquiétude en matière de concurrence déloyale, une inquiétude confirmée par l’utilisation de pesticides et l’impact des émissions de gaz à effet de serre liées à la production et au transport des marchandises. Les experts s’interrogent sur les conséquences à plus ou moins long terme, rappelant que les trois-quarts des produits phytosanitaires utilisés au Brésil sont interdits en France. Toutefois, en regardant de plus près le problème, sans oublier la déforestation massive de l’Amazonie, un accord de libre-échange est un moyen de faire pression sur ces pays. Monsanto en est l’illustration parfaite.

Dans les années 2000, confondant production et qualité, séduits par l’idée de créer des gains de productivité permanents, les agriculteurs sud-américains se sont lancés dans l’utilisation de pesticides et de grains transgéniques. En 2012, tandis qu’en Europe le scandale des effets de ses produits sur la santé l’éclaboussait, la firme étasunienne était considérée en Amérique comme une solution miraculeuse, comme le préconisait la publicité de l’époque : «Les experts disent que la productivité agricole devrait être doublée d’ici 2050 pour survenir à la croissance démographique. C’est un défi, mais un défi majeur à l’égard du changement climatique. La provision abondante et accessible de la nourriture implique donc de fournir aux agriculteurs des graines issues de la plus haute technologie

Aujourd’hui, Monsanto en Europe n’est plus au premier plan. Reste à savoir si l’accord UE-Mercosur peut s’avérer un instrument de poids pour aider les pays du sud à suivre cette voie. C’est un processus lent, certes, mais inéluctable. Un processus avec lequel un nouvel ordre mondial est en train de se redessiner, en accord avec les impératifs environnementaux qui désormais devraient encadrer la conscience collective de nos dirigeants.

Eduardo UGOLINI