La BD chilienne en force au festival d’Angoulême et au Lyon BD festival

La bande dessinée chilienne est en train de traverser les frontières et de se faire connaître dans de nombreux festivals en Europe ou aux États-Unis. Cette année, des auteurs et éditeurs ont été invités aux festivals d’Angoulême et au Lyon BD. Nous les avons rencontrés nombreux.

Photo : Lyon BD

À Lyon, dans le palais de la Bourse, une exposition retraçait l’histoire de la bande dessinée du pays. Héritière d’une tradition née au XIXe siècle, la bande dessinée chilienne s’est développée pendant plus d’un siècle par l’intermédiaire de publications de revues d’aventures parfois fantastiques, ou bien destinées aux enfants, ou encore de revues de satire politique, sportives, picaresques ou alternatives. Aussi dans les journaux, les illustrateurs ont porté et portent aujourd’hui un regard humoristique et souvent critique de la société et du pouvoir politique. L’exposition fait un focus sur les années 70 qui ont vu la naissance de la maison d’édition Quimantu sous le gouvernement de l’Unité populaire. Celle-ci devait faciliter l’accès à la culture pour tous et permettre la publication des livres à des prix très bas. Plus tard, elle fut fermée par la dictature militaire.

De nombreux amateurs, grâce à cette exposition sur la BD chilienne, ont pu découvrir l’évolution du comics devenu souvent un excellent reflet des changements politiques, sociaux et économiques profonds qui ont agité l’histoire du Chili. Ce panorama et la table ronde qui s’en est suivie ont pu faire approcher le public de l’univers contemporain de la bande dessinée au Chili qui, aujourd’hui s’ouvre un espace au niveau international grâce à l’excellent travail des auteurs et des maisons d’éditions indépendantes, à sa diversité et son originalité.

En effet, pour les auteurs de BD chiliens la visibilité est essentielle, il est rare que leur travail soit montré en dehors du Chili malgré son existence de plus d’un siècle. Pour les illustrateurs, il est nécessaire de se mesurer avec ce qui existe ailleurs pour pouvoir évoluer. Les festivals sont la meilleure manière de se faire connaître par les lecteurs d’autres pays dans l’ère de la globalisation. Et au Chili, au niveau institutionnel depuis quelques années déjà, il y a une réelle volonté de faire connaître la création des artistes chiliens.

Ce panorama a été rendu possible grâce, notamment au travail de recherche des deux historiens Moises Hasson Camhi et Claudio Aguilera ainsi que de l’illustratrice Patricia Aguilera. Tous les trois faisaient partie de la délégation chilienne à Lyon.

Moises Hasson Camhi, chercheur et éditeur de fanzines de science-fiction et fantastiques, a publié des livres de recherche sur le Comics au Chili, des catalogues de revues et des compilations de comics satiriques sur le pouvoir politique. L’historien et collectionneur déclare vouloir remédier à la méconnaissance de la bande dessinée chilienne dans le monde.

Quant à Claudio Aguilera, journaliste, chercheur-enseignant et éditeur, il est l’un des promoteurs de l’illustration chilienne. Beaucoup de ces livres et catalogues sur la bande dessinée se trouvent dans la Bibliothèque nationale de Santiago. Selon lui, il y a une forte tradition de ce genre littéraire et graphique au Chili qui a cependant souffert de la censure de la période dictatoriale mais montre aujourd’hui à nouveau sa grande vitalité.

Parmi ces invités d’honneur se trouvaient Carlos Reyes et Rodrigo Elgueta, les auteurs du magnifique roman graphique Les années Allende, publié par les éditions Heuders au Chili en 2015, et en français par les éditions Otium, en juin 2019, avec une très belle couverture originale de Philippe Bretelle.

L’histoire commence avec le coup d’État du 11 septembre 1973, un avion Hawker Hunter traverse le ciel de Santiago. Le dessin en noir et blanc du palais présidentiel de La Moneda sous les bombes et l’explosion, le bruit et puis la fureur, la peur qui se répandent le long du pays. Écrit par Carlos Reyes et dessiné par Rodrigo Elgueta, cette œuvre a déjà été présentée au Chili (2015) et en Espagne (2016) lors de festivals et rencontres dans sa version originale et a obtenu des prix.

L’idée de faire une bande-dessinée sur le président Allende a été proposée par le directeur des éditions Hueders, Rafael López, à Carlos Reyes. Celui-ci a accepté le défi et demandé à Rodrigo Elgueta, le dessinateur, de s’y joindre. En effet, il existe une littérature très abondante sur cette époque, mais pas de bande dessinée.  Après trois ans de recherche, la lecture de 25 livres et de milliers de coupures de presse, le visionnage de nombreux films, documentaires et entrevues ; les auteurs ont fait ce premier livre graphique retraçant ce moment historique tragique qui a secoué des générations de femmes et hommes au Chili et même dans le monde. En 124 pages sont condensés des moments forts de ces trois ans, les mille jours du gouvernement de Salvador Allende.

Ce roman graphique fait découvrir avec rigueur les faits politiques, les facteurs et les causes ainsi que les acteurs qui ont mis fin à la voie chilienne vers le socialisme voulue par Salvador Allende. À travers le regard d’un reporter américain John Nitsch venu reporter ce processus unique et se retrouver au milieu des conspirations, de l’agitation politique, les passions et les espoirs que ce processus avaient réveillés. John Nistch nous fait penser à l’histoire tragique de Charles Hormann, le journaliste américain exécuté les premiers jours qui ont suivi le coup d’État. Missing, film porté à l’écran par le cinéaste Costa-Gavras en 1982, raconte ce parcours de vie.

Les Années Allende est un hommage lucide à l’ancien président chilien Salvador Allende ; à cet homme d’État qui a cru assoir son projet d’une société plus juste mais s’est retrouvé coincé « au milieu du conservatisme de la droite et de l’extrême droite ainsi que des exigences de la gauche et son extrême ». Notre rédaction a eu l’honneur de rencontrer ces auteurs, les éditeurs, les historiens et les illustrateurs en toute convivialité. Nous vous annonçons déjà un papier plus développé pour le numéro 300 de la revue trimestrielle Nouveaux Espaces Latinos.

Olga BARRY