La vendetta d’une jeunesse colombienne dans «Matar a Jesús» de Laura Mora

Sortie en salle le 8 mai, Matar a Jesus met en scène un thriller haletant qui nous plonge dans une Colombie de violence et de révolte vaine, paysage devenu terriblement familier à nos yeux de spectateur. On découvre cet univers à travers Paula, une jeune étudiante, est témoin de l’assassinat de son père, un professeur d’université activiste, en pleine rue de Medellín. Désespérée face à l’inaction de la police, Paula prend les choses en main lorsqu’elle croise par hasard Jesús, le jeune sicario qui a tué son père. Entre désir de vengeance et compassion, elle se rapproche de lui.

C’est un premier film largement autobiographique que signe Laura Mora. Directement inspirée de l’assassinat de son père auquel elle assiste complètement impuissante au début des années 2000, elle décide de recréer la Medellín des années 2000 dans ce drame qui se construit sur l’impatience du désir de vengeance. Avec Jesús et Paula, ce sont deux jeunesses qui se font face. L’une pauvre, issue des barrios, ces quartiers qui enserrent la ville au sommet des collines et une jeunesse de la plaine qui va à l’université, à soif de combat politique, s’épanouit, libre et créative. Isolées l’une de l’autre, séparées par la géographie qui épouse les fractures sociales, les deux pans de cette jeunesse colombienne partagent néanmoins une même soif d’amusement et c’est la nuit qui lie leurs deux réalités et qui permet à Paula de retrouver le meurtrier de son père.

Giovanny Rodriguez incarne à merveille Jesus, ce jeune homme somnolent et désabusé qui passe ses journées à zoner et à s’entraîner au tir. Éloigné de sa famille, car craignant les représailles, il vit en marge de la société à l’inverse de Paula qui habite une demeure familiale cossue. Quand Paula retrouve les sicarios on découvre une bande qui tue par dépit plus que par soif de sang, comme-ci elle ne savait rien faire d’autre. On se surprend à découvrir que ce ne sont que de jeunes garçons blasés qui tuent le temps à jouer avec des armes, à faire des soirées ou des tours en motos, à se prendre pour des adultes sans en avoir encore les intentions. Et que finalement ces deux jeunesses ne sont pas si éloignées l’une de l’autre et donc que l’acte de mort n’enlève en rien l’empathie que peu à peu l’on ressent pour la bande de désœuvrés que forment Jesus et ses amis.

Condamner à pardonner

Le film de vengeance se mue en drame social dans une séquence de bascule où Paula en appelle au soutien de Jesús pour se protéger de la violence de Medellín. L’ennemi de toujours devient alors un précieux allié. Toute la schizophrénie qui va alors la tirailler c’est celle qui semble en quelque sorte condamner aussi les Colombiens à s’affronter pour des enjeux qui les dépassent, sur lesquels ils n’ont aucune emprise. On sent très fort que le véritable ennemi du film c’est cette police corrompue tout à fait complice des sicarios, la pauvreté structurelle et l’absence de sécurité dans les rues de la ville ; tout autant de maillons d’une chaîne que forme la société de Medellín et qui comme le meurtre de son père, trouvent leur justification dans la fatalité d’une situation politique complexe inébranlable.

Comme autant de contes moraux contemporains, toute une filmographie latino-américaine fait le constat depuis plusieurs années des conséquences de la vengeance personnelle (Tuer un homme, La Familia…). En captant cet esprit du temps sourd et implacable, ces œuvres où la tragédie individuelle règne dressent par leur ressemblance une situation homogène dans toute l’Amérique latine. Matar a Jesús s’inscrit dans cette tradition de récit. Malgré le meurtre de son père, se construit peu à peu dans l’esprit de Paula la voie d’une rédemption. Et avec elle l’acceptation que rien ne peut être fait par ses propres moyens, surtout pas par la violence. Une rédemption qui la condamne à pardonner, qui condamne aussi tout Medellín à se construire sur un socle instable et brutal.

Dans la lignée d’autres réalisateurs avant elle, Laura Mora interroge les séquelles que laissent ces tragédies personnelles sur la jeunesse et qui finissent par faire société. Dans cet exercice pourtant, Matar a Jesús reste fragile parce que beaucoup trop bien rôdé, trop à l’aise dans cette grammaire habituellement déployée. Le film réinvestit le sujet sans réelle prise de risque ou fulgurance si l’on omet l’esthétique onirique qui accompagne les minutes de liberté que s’offre la bande de sicarios ; gamins blasés qui sillonnent les routes la nuit à dos de motos bruyantes en équilibre sur une roue. Passé ces quelques parenthèses d’insouciance tapageuse, tel un décor immuable, Medellín redevient la belle emprisonnée, figée dans une esthétique devenue trop familière à l’écran, qui appelle en conséquence un traitement beaucoup trop prévisible.

Kévin SAINT-JEAN

Matar a Jesús de Laura Mora, Drame, Colombie, 1 h 39 – Voir la bande d’annonce