Olinka et l’univers politique du Mexique dans le nouveau roman d’Antonio Ortuño

Le nouveau roman d’Antonio Ortuño, auteur mexicain, intitulé Olinka, est sorti en Espagne le 17 mars 2019. «Il n’y a pas de problème social qui n’ait pas lieu au Mexique», explique l’écrivain. Consacré à des thèmes tels que le blanchiment d’argent, la corruption et la spéculation immobilière au Mexique, cet ouvrage révèle aussi l’univers politique du pays.

Photo : José Quezada

À travers l’histoire d’Aurelio Blanco, Antonio Ortuño compose une histoire de corruption et d’argent sale produite à Guadalajara, mais qui pourrait avoir eu lieu n’importe où au Mexique. Le héros du roman est emprisonné durant quinze ans pour une fraude commise par sa famille politique, los Flores, qui voulait édifier une urbanisation inspirée de l’Olinka du Dr Atl. «Ça fait un moment que je suis fasciné par beaucoup d’histoires en rapport avec ma ville. Fasciné avec l’idée de reprendre le plan utopique du Dr Atl, et l’adapter à ce qu’est le Mexique contemporain ; c’est-à-dire, cette machine de destruction de rêves de ceux qui habitent dans le pays et aussi à celle des années passées» partage en interview téléphonique, depuis Berlin, Antonio Ortuño.

Guadalajara a toujours été présente dans la littérature d’Antonio Ortuño. Mais auparavant, la terre natale de ce puissant auteur mexicain n’apparaissait que de façon latérale. Dans son nouveau roman, Olinka, Guadalajara joue un rôle protagonique lié à son histoire plus sombre sur le blanchiment d’argent, la corruption, la spéculation immobilière et la gentrification. Dans Olinka, Guadalajara est latente, mais ce n’est pas un livre «affectif ni touristique avec cette ville que je connais même avec les yeux fermés», indique Ortuño, qui assure que c’est un livre revêche sur sa terre natale.

Ortuño déclare qu’Olinka pourrait se dérouler dans les périphéries de Mexico ou Monterrey, mais que Guadalajara a ses propres particularités. Elle est la capitale du blanchiment d’argent et une ville où la classe dominante est pratiquement la même depuis les temps des conquêtes espagnoles. Mais l’essentiel est que la gentrification et l’extermination des communautés suburbaines sont présentes partout au Mexique. «La cupidité des agents immobiliers détruit tout sur son passage et le caractère soumis de la classe moyenne a transformé des millions de personnes en adeptes et servantes du pouvoir. Cela nous a donné la classe moyenne qu’on a. Une classe dépolitisée et démobilisée qui pense que s’engager c’est envoyer des tweets.»

Ortuño s’inspire de deux devises mises dans deux des endroits les plus emblématiques de Guadalajara, le théâtre Degollado et la Minerve. Elles disent respectivement «Que n’arrive jamais la rumeur de la discorde» et que «La justice, la sagesse et la force veillent sur cette ville fidèle». Grâce à ces pensées, Ortuño aborde sa ville avec l’ironie et l’humour noir qui caractérisent sa littérature. «J’ai repris ces phrases ironiquement pour montrer ce côté sombre, ce côté aride de la ville, qui est justement l’opposé de ce que ces devises veulent dire. Devises qui n’ont rien à voir avec la ville hyper violente qu’est Guadalajara aujourd’hui. Avec ses centaines et centaines de morts, des camions remplis de cadavres, Guadalajara est une ville où l’on constate un boom immobilier et économique produit du blanchiment d’argent. On voit des tours qui apparaissent partout, des tours auxquels le tapatió moyen ne pourrait jamais avoir accès, ces quartiers absurdement coûteux, qu’a privatisés l’espace public», déclare le collaborateur fidèle d’El País.

La fiction réelle d’Antonio Ortuño

L’auteur résident à Berlin pour le Deutscher Akademischer Austauschdienst affirme que s’il choisit d’aborder ces thèmes-là, s’il construit les personnages qu’il construit c’est parce que c’est sa façon d’essayer que la fiction soit une manière de naviguer dans ces réalités. «Il n’y a pas de problème social qui me vient à l’esprit qui n’a pas actuellement lieu au Mexique, chaque semaine on peut trouver quelque chose. Avec le mouvement #MeToo, on parle de l’ampleur du problème de la violence contre la femme, qui est un problème très ancré dans la société mexicaine. On peut parler aussi des déplacés, des disparus, des assassinés, des problèmes de santé, des problèmes d’éducation, de toute la société qui semble être fissurée de partout. Dans ce sens-là, la fiction s’avère être une possibilité pour reléguer cela», affirme Antonio Ortuño. 

L’auteur d’El buscador de cabezas et La fila india» ajoute : «Je ne fais pas d’études sociologiques. Mes personnages ne correspondent pas à des profils propres à la sociologie, ce n’est pas mon intention. Je cherche plutôt à créer un espace qui nous permet de faire le lien avec ces terribles situations qui arrivent autour de nous. La fiction devrait atteindre là où le peuple mexicain arrive. Si les personnes tuent, violent et disparaissent, il me semble que la fiction doit aborder ces sujets-là. La plume, le clavier du narrateur doivent être là et éclairer ces situations, pas du point de vue d’un journaliste, mais du point de vue d’un narrateur. L’écrivain peut et doit entrer dans la tête des personnages, l’écrivain peut et doit approfondir ses motivations. Je pense que c’est là une des principales utilités de la fiction» conclut Antonio Ortuño.

Antonio Ortuño sera présent à Lyon pour la 18e édition du festival Bellas Latinas qui aura lieu du 9 au 19 octobre 2019. Il viendra présenter son livre Méjico, traduit et publié en France aux éditions Christian Bourgois. 

Monica GIORDANELLI
D’après la presse espagnole

Olinka d’Antonio Ortuño, éd. Seix Barral, 248 p., 18,50 €.

Né à Guadalajara en 1976, Antonio Ortuño est l’auteur de plusieurs romans lui ayant valu différentes distinctions ainsi que de recueils de nouvelles. Il s’intéresse surtout à l’actualité politique de son pays. En 2010, il figure sur la liste établie par le magazine britannique Granta des meilleurs écrivains hispanophones. L’édition mexicaine du magazine GQ le désigne auteur de l’année 2010.