Les Oiseaux de passage, un film colombien de Cristina Gallego et Ciro Guerra désormais en DVD

Dans les années 1960, en Colombie, une famille d’indigènes wayuu se retrouve au cœur de la vente florissante de marijuana à la jeunesse américaine quand Rafa, pour payer la dot de sa cousine qu’il veut épouser, se lance dans le narcotrafic. Quand l’honneur des familles tente de résister à l’avidité des hommes, la guerre des clans devient inévitable et met en péril leurs vies, leur culture et leurs traditions ancestrales. C’est la naissance des cartels de la drogue.

Photo : Les Oiseaux de passage

Quatrième long métrage de Ciro Guerra après L’Étreinte du serpent (2015) où l’on remontait l’Orinoque jusqu’à la période coloniale, ce troisième film co-réalisé avec son épouse et productrice fit un beau succès lors de l’ouverture de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes 2018.L’originalité  de son nouveau film est de retracer la naissance et le développement de l’empire du narcotrafic en l’enracinant dans les mythes des clans wayuu de la pointe nord de la Colombie.

Ciro Guerra explique la démarche et la portée de son film : «Pour moi, c’est un film noir, un film de gangsters. Mais il peut aussi être à la fois un western, une tragédie grecque et un conte de Gabriel García Márquez. D’une certaine façon, les genres sont devenus les archétypes mythiques de notre temps. Depuis la nuit des temps, l’être humain a essayé de se servir du mythe pour donner un ordre et un sens à une existence chaotique et dont le sens nous échappe. C’est la fonction des genres aujourd’hui : ils prédéterminent notre compréhension du monde et nous annoncent dans quel territoire une histoire va se déplier»

«Entre 2006 et 2007, nous nous sommes installés sur la côte du nord de la Colombie pour préparer notre film Los viajes del viento. L’une des scènes du film se passait pendant la bonanza marimbera [période d’exportation de cannabis aux États-Unis pendant les années 1970 et 1980, particulièrement dans le désert de la Guajira, où Les Oiseaux de passage a été tourné]. Nous avons fait des recherches en interrogeant les populations locales. La Guajira est une terre aride, sauvage, un territoire difficile où rien n’est acquis et rien ne vous est dû…»

«Nous avons été confrontés à de vraies intempéries, à une tempête de sable et un orage monumental, le plus important depuis six ans, qui a totalement détruit deux de nos plateaux de tournage. C’est un film où l’on a dû se battre pour chaque plan. Chez les Wayuu, complète Cristina Gallego, les femmes s’occupent du commerce et de la politique. En même temps, c’est une société très machiste. Pendant le travail de recherche pour écrire l’histoire, beaucoup de gens niaient que les femmes aient participé au narcotrafic. Elles sont restées à la maison, nous disait-on. On a évidemment découvert que ce n’était pas tout à fait vrai. Je voulais que ce ne soit pas l’histoire d’un autre parrain, mais plutôt d’une marraine. D’où le personnage de la matriarche joué par Carmina Martínez, une actrice de théâtre qui n’avait jamais travaillé au cinéma.»

«Au départ, nous voulions tourner avec des acteurs originaires de ce territoire, mais il n’existe pas de comédiens professionnels qui parlent la langue des Wayuu… On a organisé un long casting, mais on ne les a pas trouvés. En outre, c’était important que les acteurs qui jouent les personnages principaux portent le poids de leurs rôles, subissent une transformation physique et supportent le passage du temps dans le film. Nous avons donc fini par faire appel à des professionnels pour les rôles principaux, dont certains viennent quand même de la région de la Guajira, comme Carmina Martínez ou José Acosta

«C’est une façon intéressante de travailler ajoute Ciro Guerra, car les acteurs professionnels apportent leur rigueur et leur discipline, et de leur côté, les non professionnels enrichissent le tournage de leur expérience, de tout ce qu’un comédien professionnel ne peut pas jouer, cela faisant appel au vécu… Après une longue recherche, nous avons trouvé des acteurs non professionnels dans plusieurs rancherías, les résidences traditionnelles des Wayuu de la Guajira.»

Entre la réalité et l’imaginaire, entre le monde des croyances et des coutumes, entre le surnaturel et la magie face au narcotrafic, c’est un monde des origines et celui d’aujourd’hui qui s’affrontent.  À signaler le remarquable travail effectué non seulement sur les couleurs, mais aussi sur le son par Carlos García et Claus Lynge. Un film à ne pas manquer, en salle à partir du 10 avril.

Alain LIATARD

Les Oiseaux de passage de Cristina Gallego et Ciro Guerra, Drame-Thriller, Colombie, 2 h 05 – Voir la bande annonce