Los Silencios, un film à la frontière du surnaturel réalisé par la Brésilienne Beatriz Seigner

Nuria, 12 ans, Fabio, 9 ans et leur mère Amparo arrivent sur une petite île au milieu de l’Amazonie, à la frontière entre le Brésil, la Colombie et le Pérou. Ils ont fui le conflit armé colombien dans lequel leur père avait disparu. Un jour, il réapparaît dans leur nouvelle maison. La famille est hantée par cet étrange secret et découvre que l’île est peuplée de compagnons de son père.

Photo : Los Silencios

Nous suivons une famille avec sa décomposition, mais aussi sa reconstruction à la suite des conflits colombiens. Au milieu de tout cela, les fantômes du passé resurgissent et s’invitent dans le quotidien à l’image du père de famille. Des fantômes qui apparaissent soudain, comme s’ils n’étaient jamais partis, et qui vont se mêler au monde, brisant la barrière entre réel et surnaturel.

«Nous avons tourné à la frontière entre le Brésil, le Pérou et la Colombie, plus précisément sur une petite île baptisée « la isla de la fantasia » explique Beatriz Seigner. Cette île est envahie par les eaux quatre mois par an et refait surface comme par magie le reste du temps… J’ai repensé à ma propre enfance. Mon père a dû vivre caché une partie de sa vie et je ne savais pas où… Parfois, il venait me chercher à la sortie de l’école. J’essayais de ne jamais imaginer l’endroit où il vivait reclus. J’avais du mal à en parler aux autres, c’était très effrayant pour moi…. Nous avons tout de suite eu une idée : suivre les mouvements de l’Amazone, la crue et décrue. Et nous l’avons appliquée au film lui-même, c’est-à dire que nous voulions qu’il y ait une interaction entre la réalité et le fantastique, que la réalité soit parfois immergée et que sa perception puisse être transcendée.»

«Ce film, je l’ai toujours vu comme un film où le sensoriel avait une place concrète, tout comme les fantômes ont une place concrète dans cette région insulaire. Comment survit-on après avoir perdu un être cher et peut-on pardonner à ceux qui nous l’ont pris ? En termes de mise en scène, ces questions impliquaient de ne pas être dans l’emphase, de ne faire aucun travelling, d’utiliser la musique a minima – qu’on entend juste au début et à la fin du film. Tout le reste repose sur des sons organiques et naturels : l’eau, le vent, le coassement des grenouilles, le bruissement des feuilles, du bois…»

Cette sensibilité enivrante et onirique coexiste avec un naturalisme prosaïque, en utilisant une photographie magnifique et une succession de plans fixes mettant le spectateur dans une position d’observateur. La thématique de la mort et de la perte d’un être cher est ici approchée avec beaucoup de douceur, beaucoup de nostalgie aussi, se démarquant par un festival de couleur et d’effets fluorescents se développant au cours de la narration. Il y a d’un coté la précarité matérielle des populations qui doivent fuiret leur détresse psychologique, causée par la disparition brutale d’êtres chers, laissés derrière elles dans leur fuite qui aboutira contre toute attente à un apaisement des esprits dans le bayou amazonien.

Réalisé avec beaucoup de force par une jeune réalisatrice, le film est très beau. Parler des morts et des disparus du conflit colombien de cette façon est une réussite. Sortie le 3 avril 2019.

Alain LIATARD

Los Silencios de Beatriz Seigner, Drame, Brésil, 1 h 29 – Voir la bande annonce