Cent jours pour l’homme du peuple mexicain, Andrés Manuel López Obrador

En juillet dernier, Andrés Manuel López Obrador (AMLO) arrivait largement en tête du scrutin présidentiel au Mexique. Avec 53% des voix, AMLO surplombait tous ses adversaires et devint le président le plus largement soutenu par la population de toute l’histoire mexicaine. Il brisait de la même façon l’hégémonie du Partido Revolucionario Institucional (PRI) sur les institutions du pays et obtint une majorité écrasante au Parlement mexicain.

Photo : Televisa

Andrés Manuel López Obrador se fit élire porté par son projet de quatrième transformation et le mouvement MORENA, (Movimiento de Regeneracion Nacional). En décembre dernier, après cinq mois de transition, il succéda à Enrique Peña Nieto, qui laissa son poste avec 18% d’opinions favorables et un mandat entaché par la montée de l’insécurité et de la violence dans tout le pays, ainsi que de nombreux scandales de corruption au sein de ses troupes. Après plus de cent jours au pouvoir, la cote de popularité d’AMLO au sein de la société mexicaine reste extrêmement élevé (près de 80% d’opinions favorables). Attardons-nous sur les principales mesures mises en place par le nouveau gouvernement.

Programmes sociaux

Il avait été élu sous le slogan «Los pobres, primero», dans un pays où 50% de la population vit en situation de pauvreté. Parmi les mesures phares de son budget pour 2019, AMLO annonçait le déblocage de 6 milliards de dollars pour soutenir les jeunes, via un système de bourses, à poursuivre leur éducation ainsi que se former en entreprise. De l’autre côté de l’échelle générationnelle, le budget prévoit également une aide financière universelle aux personnes âgées et handicapées. Pour les travailleurs les plus pauvres, une revalorisation du salaire minimum à hauteur de 16% fut également mise en route (bien que celui-ci reste un des plus faibles d’Amérique latine).

Infrastructure et grands projets

Une des promesses de campagne d’AMLO fut de lancer une grande consultation populaire sur la construction pharaonique du nouvel aéroport de México. En octobre dernier se tint cette consultation qui s’opposa en grande majorité à cette construction (70%) et AMLO se rangea derrière l’opinion des électeurs. Avançant des raisons de corruption dans l’attribution des contrats et des motifs écologistes, le chantier de l’aéroport -construit déjà à 30%- s’arrêta du jour au lendemain.

Dans la foulée, le nouveau président annonça le lancement du projet du Train Maya, une ligne de chemin de fer devant relier les différents sites touristiques et poumons économiques de la Riviera Maya, dans le sud-est du pays. Un investissement colossal de plusieurs milliards d’euros, approuvé par un référendum citoyen dans la région à 89%.

Politique énergétique

Dès sa prise de pouvoir, AMLO prit à bras le corps un des problèmes endémiques de la politique énergétique du Mexique : le huachicoleo ou le vol de combustible. Ce trafic de pétrole à grande échelle était organisé au sein même de Pemex, la compagnie pétrolière publique, depuis de nombreuses années. Chaque jour, c’étaient 80 000 barils de pétrole qui disparaissaient du réseau énergétique mexicain pour un manque à gagner de plusieurs milliards de dollars. À l’heure actuelle, malgré de graves problèmes de planification et de pénurie dans les stations-services de plusieurs États mexicains et notamment dans la capitale, la lutte entamée par AMLO semble porter ses fruits, avec des chiffres de huachicoleo en chute libre.

Néanmoins, sa politique énergétique s’est principalement focalisée sur une récupération de l’industrie pétrolière nationale dans le but d’atteindre l’autonomie énergétique. L’ONG Greenpeace souligne le manque d’ambition du nouveau président en matière d’énergie renouvelable après la diminution draconienne des assignations budgétaires liées à ces questions et l’annulation de plusieurs marchés publics visant à développer ces secteurs.

Droits de l’homme et lutte contre l’insécurité

C’était un des gestes forts des premiers jours de gouvernement d’AMLO. Dans son premier décret officiel en tant que président, il créa la «Commission pour la Vérité» afin de relancer l’enquête sur la disparition en 2014 des 43 étudiants d’Ayotzinapa, visage sur la scène internationale de la violence organisée qui ravage le pays depuis de nombreuses années. L’établissement de cette Commission est un symbole fort de réunification du pays, approuvé par la CIDH (Comisión Interamericana de Derechos Humanos). Les prochains mois nous diront la portée de ce nouvel outil pour ce défi majeur, dans un pays qui compte plus de 37 000 personnes disparues.

En ce qui concerne la sécurité, malgré sa promesse de campagne de retirer les militaires des rues, la Défense fut la principale privilégiée du budget d’AMLO avec une augmentation de son budget de 11%. D’autre part, y a quelques jours, la totalité des 32 parlements locaux votait en faveur de la création d’une Guardia Nacional, une police à caractère militaire, qui devrait compter 150 000 hommes dans cinq ans.

Politique internationale

AMLO avait annoncé que sa politique étrangère se limiterait à défendre les intérêts mexicains là où sa présence serait nécessaire. Depuis le début de son mandat, il n’a encore effectué aucun déplacement à l’étranger, privilégiant un passage de tous les États du pays.

Pour autant, sa voix est dissonante par rapport à la majorité des pays latino-américains sur la question vénézuélienne. La présence de l’actuel président du Venezuela à sa cérémonie d’investiture fut largement questionnée et il se distancia du Groupe de Lima qui jugeait illégitime la prise de pouvoir de Nicolás Maduro en janvier dernier. Se retranchant derrière l’historique politique de non-intervention du Mexique sur la scène internationale, il rata pourtant le coche de pouvoir se définir comme une force régionale de médiation quand Juan Guaidó refusa sa proposition d’intermédiaire.

Le style de présidence

La popularité d’un homme politique dépend largement de sa communication, et cela AMLO l’a bien compris. Se faisant élire comme représentant des classes oubliées du pays, il se définit comme un président simple et proche des gens. Il refusa de s’installer aux Pinos, la maison présidentielle et il baissa son salaire de 27%. Depuis sa prise de pouvoir, tous les jours, à 7 heures du matin, ses conférences de presse sont devenues un rituel pour les journalistes. Ces prises de parole quotidiennes au lever du jour sont une manière de reprendre en main l’agenda médiatique de la journée.

Conclusions

«Bien que ce soit seulement le début du chemin vers le progrès et la justice, nous avons commencé à écrire le prologue du grand chantier de la transformation national», concluait AMLO lors de son discours-bilan après cent jours au pouvoir. En effet, de nombreux enjeux ont déjà été mis sur la table en quelques mois. Néanmoins la lutte contre la corruption, les inégalités et l’insécurité au Mexique est un travail de longue haleine, demandant des mesures à court et long-terme.

L’une des principales caractéristiques des premiers mois d’AMLO au pouvoir fut l’austérité imposée aux institutions et aux gouvernants politiques. Il s’est opéré un vrai changement d’esthétique des institutions publiques, une promesse d’austérité qu’il avait défendue lors de sa campagne. Ces mesures ne sont pas seulement symboliques car elles permettent de renouer la confiance de la société mexicaine avec la fonction publique, confiance largement rompue ces dernières années. Dans la narrative présidentielle, le peuple est remis au centre des stratégies politiques et depuis l’ascension d’AMLO au pouvoir, le débat public n’a jamais autant été si vif au sein de la société mexicaine.

La mise en place de mesures sociales de grande envergure est l’autre caractéristique qui peut expliquer l’énorme popularité du nouveau président mexicain. Ces programmes sont un signal encourageant car ils ont comme objectif de revaloriser les classes les plus démunies grâce à la formation professionnelle, l’éducation et une amélioration de leur pouvoir d’achat, afin de trouver d’autres chemins que ceux de la violence et la drogue. Il n’empêche que, dans les mois qui viennent, AMLO va devoir définir clairement le modèle économique qu’il souhaite pour pouvoir financer ces mesures.

Dans de nombreux domaines, il va devoir également affronter ses propres contradictions. Si un système de consultations citoyennes est mis en place, il doit être réglementé, transparent et représentatif pour atteindre une certaine légitimité.

Un double discours est également visible sur la question des droits de l’homme et de la lutte contre l’insécurité où, d’un côté, López Obrador entame le processus indispensable de réconciliation nationale entre les victimes de violence et l’État et, d’un autre, utilise les vieilles recettes des anciens présidents en privilégiant la mise en place d’un nouveau corps armé pour lutter contre la violence alors que les forces de l’ordre sont impliqués dans de nombreux cas de violences, de tortures et de disparitions forcées.

La même constatation peut être faite en matière de politiques énergétiques où, sous couvert de retrouver l’autonomie énergétique du pays, il parie sur une vision privilégiant l’utilisation du pétrole et rabaisse le budget des politiques d’énergie renouvelable et de protection de l’environnement. Protection de l’environnement qui était pourtant au cœur de son argumentaire pour l’annulation de la construction du nouvel aéroport de Mexico. Ce double discours opère également dans la promotion d’un pays plus prospère tout en coupant abondamment dans les budgets destinés aux universités, à la recherche et à la culture, trois piliers indispensables au développement social et économique.

Finalement, en matière de politique internationale, AMLO, qui a comme modèle l’ancien président brésilien Lula, se refuse pourtant à assumer la force historique potentielle que pourrait avoir son mandat en Amérique latine. Sur un continent largement passé à droite de l’échiquier politique, sa voix dissonante aurait pu marquer une nouvelle impulsion, mais elle peine hélas à se faire entendre.

Cent jours sont passés et AMLO peut toujours compter sur un soutien social (presque) sans faille. Cette popularité inédite est à la fois une chance et une malédiction, tant les espoirs de la population mexicaine sont grands pour que son gouvernement transforme le pays de fond en comble. AMLO compare souvent son modèle de quatrième transformation du Mexique aux mouvements historiques de l’Indépendance, la Réforme ou la Révolution mexicaine, et en mettant la barre si haut, la société mexicaine espère de lui qu’il soit à la hauteur de ces enjeux.

Romain DROOG