Le Nicaragua contraint de négocier avec l’opposition sous l’ombre des États-Unis

Depuis une semaine, les dirigeants de l’Alliance civique de l’opposition réclament la présence de «garants internationaux» afin de négocier une sortie de la crise politique qui frappe le pays depuis des mois. Par ailleurs, les récentes déclarations de Donald Trump, dans le contexte de la crise au Venezuela, font planer une menace latente sur la table des discussions où se joue l’avenir de l’ex-guérillero sandiniste et actuel président du Nicaragua, Daniel Ortega.

Photo : Presidencia El Salvador/Flickr

Tout a commencé en avril dernier, dans plusieurs villes du pays, avec une quarantaine de morts et une centaine de blessés. Aujourd’hui, les victimes de la répression policière –plus de 300 morts– font partie du lourd bilan de l’explosion sociale déclenchée il y a dix mois par l’annonce d’un décret sur la réforme des retraites.

Destiné à réduire de 76 millions de dollars le déficit de la Sécurité sociale, ce projet de réforme a nécessairement fourni un nouveau sujet d’affrontement qui a fait déborder le vase de la grogne générale : chômage en hausse, augmentation des tarifs d’électricité et du carburant, réduction de l’aide familiale, et surtout une liberté d’expression inexistante avec presque 700 opposants derrière les barreaux.

Après les émeutes de l’année dernière, voyant l’épée de Damoclès au-dessus de sa tête, Daniel Ortega avait fait marche arrière sur sa réforme, trop conscient d’être «arrivé à ce moment fatal où le peuple ne peut plus supporter ni ses maux ni [ses] remèdes», selon les mots de l’historien Louis Madelin (1871-1956). Ainsi acculé par la plus violente mobilisation sociale depuis son retour au pouvoir, en 2007, en guise d’apaisement M. Ortega avait déclaré à la télévision nationale que «le gouvernement [était] d’accord pour reprendre le dialogue pour la paix, pour la stabilité, pour le travail, afin que [le] pays ne soit confronté à la terreur [qu’il vit] en ces moments».

C’est donc sur la base de ses déclarations que les discussions décisives ont débuté le mercredi 27 février autour de la table des négociations. Entreprises, étudiants, paysans, organisations civiles et syndicats se sont regroupés sous le nom d’Alliance civique pour la justice et la démocratie (ACJD).Cette plateforme de l’opposition avait demandé comme préalable la libération de tous les opposants emprisonnés ainsi que la présence, en tant que «garants internationaux», de l’Organisation des États américains (OEA) et de l’Organisation des Nations unies (ONU). De fait, en reprenant le dialogue, l’ancien guérillero sandiniste tente de temporiser pour conserver la présidence jusqu’à la fin de son mandat en 2021, comme l’affirment les membres de l’opposition, dont Azahalea Solis : «Ortega a accepté de reprendre le dialogue parce que la résistance civile continue fermement, à cause de son isolement international et de la situation [de crise] au Venezuela, et parce que l’économie est en chute libre.»

C’est ce que confirment les analystes. En 2018, le PIB a chuté de 4%, provoquant la perte de 300 000 emplois et, selon les prévisions des chefs d’entreprise pour cette année, le PIB peut encore reculer jusqu’à 11%. Ce sont des chiffres alarmants qui, certes, pourraient faire exploser le taux de chômage, mais surtout accélérer le déclin de l’administration Ortega. Dans ces conditions donc, on peut très difficilement prévoir comment l’ex-guérillero sandiniste pourra trouver une stratégie pour renouer avec son peuple et sortir de la crise.

À cela s’ajoutent les sanctions financières imposées par les États-Unis contre son épouse et vice-présidente, Rosario Murillo, et contre un membre de son cabinet. Dans ce contexte délétère, il n’est pas inutile de rappeler que, depuis onze ans à la tête du pouvoir (auxquels s’ajoute son expérience dans les années 1980), M. Ortega a eu suffisamment de temps pour réussir sa gestion en mettant en place les mesures nécessaires à un développement dynamique, dans tous les domaines, pour assurer l’avenir de son peuple.

Mais, comme beaucoup d’hommes politiques, il justifie l’échec de son administration en faisant appel à la théorie du complot : ce sont les rouages des États-Unis qui ont fait voler en éclats son programme, avec l’objectif de se débarrasser de l’idéal gauchiste qui a gouverné pendant les vingt dernières années dans plusieurs pays d’Amérique latine.

Or, il faut bien reconnaître que sur ce point-là M. Ortega n’est pas loin de la réalité. Le conseiller étasunien à la sécurité, John Boston, a affirmé le 20 février dernier que les jours de M. Ortega «étaient comptés». Il y a une semaine, dans un discours sur Maduro et la crise vénézuélienne, Donald Trump avait affirmé que «les jours du communisme étaient comptés au Venezuela, mais aussi au Nicaragua et à Cuba». Une déclaration péremptoire destinée à accélérer la chute d’Ortega car, pour Washington, le Nicaragua fait partie, avec le Venezuela et Cuba, d’une «troïka de la tyrannie».

Tandis que ses opposants réclament son départ en l’accusant d’avoir instauré une dictature, Dora Téllez constate pour sa part que «l’affaiblissement de Maduro affaiblit Ortega». L’ex-combattante sandiniste considère également le dialogue avec l’opposition comme le prélude de la fin du président nicaraguayen : «il s’assied à la table des négociations avec la corde au cou»[1].

Eduardo UGOLINI


[1] Pour plus de détails sur l’origine du «sandinisme», la carrière politique de Daniel Ortega et l’influence historique des États-Unis, vous pouvez consulter l’article intitulé «Des dizaines de morts à l’origine du rassemblement «pour la paix et la justice» au Nicaragua».