L’ancien président chilien Eduardo Frei Montalva a bien été assassiné par la dictature

Après seize longues années d’enquête, le procureur chargé d’élucider les causes du décès d’Eduardo Frei Montalva a conclu que l’ancien président a été victime d’un homicide simple. Les responsables de ce crime, avec une participation à différents niveaux, sont au nombre de six, dont deux médecins. Ils ont écopé de peines allant de trois à dix ans d’emprisonnement.

Photo : Cooperativa

Ce verdict de la justice a provoqué un profond bouleversement dans l’opinion. La famille Frei, et notamment Carmen Frei, la fille, se dit satisfaite ; c’est grâce à son obstination qu’elle a pu enfin éclaircir la mort de son père et faire que la justice s’impose. Cette décision en première instance du juge Alejandro Madrid est un premier pas, car persiste une série de faits qui auraient dû être élucidés pour pouvoir appeler ce crime « homicide qualifié ». Une preuve de l’insuffisance de la résolution est que la défense, les parties civiles et le gouvernement ont annoncé d’ores et déjà qu’ils feront appel. Six personnes ont été condamnées mercredi 30 janvier à des peines allant jusqu’à dix ans de prison pour le meurtre de l’ancien président Eduardo Frei Montalva.

Démocrate-chrétien, Eduardo Frei Montalva a d’abord soutenu le renversement par la force du président Salvador Allende, puis est devenu un opposant à la dictature du général Pinochet. Il est mort en 1982, des suites d’une septicémie. C’est en tout cas ce qu’a voulu faire croire le régime à l’époque. Après ce procès prouvant l’assassinat de l’ancien président, deux médecins, le chauffeur personnel de l’ancien chef de l’État et un agent de la police politique entre autres font partie des personnes reconnues coupables de l’assassinat, de complicité et de dissimulation du crime.

En novembre 1981, Eduardo Frei Montalva fut admis dans une clinique de Santiago, pour l’opération d’une hernie, a priori bénigne. Mais quelques semaines plus tard, il meurt brutalement. Officiellement, à cause de complications liées à l’opération. Après le retour à la démocratie, sa famille porte plainte pour meurtre, dans les années 2000.

Lors d’un entretien à Radio Cooperativa, l’avocat de la famille Frei, Nelson Caucoto, s’est dit satisfait qu’en première instance la mort de Frei ait été reconnue comme un homicide, mais il est confiant que l’appel devant les tribunaux supérieurs permettront de prouver qu’il ne s’agit pas d’un délit commun mais d’une opération criminelle planifiée et exécutée par l’État. «Il y a eu deux expertises disant que de très petites quantités de thallium et de gaz moutarde, espacées dans le temps, se sont mêlées pour affaiblir les défenses immunitaires du président Frei, a expliqué à RFI l’avocat de sa fille, Nelson Caucoto. Il est ensuite tombé dans un état grave en décembre 1981 et ne s’est jamais remis d’un choc septique.»

Contrairement à ce qu’on présumait et à la thèse des plaignants, le juge n’a pas pu désigner ce crime d’homicide qualifié. Cependant, la résolution rend compte amplement des circonstances qui ont entouré la mort de l’ex-président : présence de personnel étranger à l’équipe médicale et de la clinique où il devait subir une intervention. Parmi eux, deux médecins liés à la CNI (police politique de la dictature) ou à l’armée. Une réintervention chirurgicale injustifiée, des autopsies non sollicitées par la famille, l’ingestion de substances expérimentales ainsi que des poursuites en voiture et des écoutes téléphoniques de la famille Frei s’ajoutent à cela.

Des faits anormaux dans le contexte d’élimination des opposants au régime : le leadership de l’ex-président Frei était devenu une menace pour le gouvernement de Pinochet. Le juge parvient à la conclusion que la mort d’Eduardo Frei Montalva n’a pu être que délibérée, même s’il n’a pas pu prouver l’existence d’ordres directs, de préméditation ou d’utilisation de venin. C’est tout le paradoxe de cette résolution à laquelle la famille souhaite trouver une réponse en appel devant les tribunaux supérieurs.

En effet, c’est en compagnie de ses avocats Nelson Caucoto et Francisco Ugás que Carmen Frei, la fille, s’est présentée dans le bureau d’Alejandro Madrid, le juge chargé de cette affaire en première instance, pour demander la requalification du verdict en homicide qualifié.

À la sortie de ses bureaux, l’ancienne sénatrice Carmen Frei a affirmé devant la presse qu’un «délit si planifié, effectué avec autant de cruauté, doit avoir d’autres protagonistes». «Le juge a conclu que mon père a été assassiné et cela nous soulage, mais nous ferons appel.»

Eduardo Frei Montalva a gouverné le Chili pendant la période précédant l’élection du socialiste Salvador Allende. Au cours de son mandat, il a initié la réforme agraire et un certain nombre de réformes sociales dont la nationalisation partielle de la production de cuivre dans les années 1960.

«Eduardo Frei, à partir de 1980, lors de la campagne de la dictature pour consolider son influence au niveau constitutionnel, a été le grand promoteur d’une manifestation nationale contre la nouvelle Constitution, poursuit Nelson Caucoto. Il est devenu la principale figure d’opposition, et donc le principal objectif à abattre par la dictature de Pinochet, avec le dirigeant syndical Tucapel Jiménez –également assassiné par la dictature.»

Pour les partis de gauche et du centre, ce crime avéré est une nouvelle remise en cause de ceux qui, encore aujourd’hui, revendiquent la figure du dictateur et se positionnent comme une partie de la diversité de la droite chilienne : «il est temps que les complices passifs assument leurs responsabilités», ont-ils déclaré.

Olga BARRY