Nayib Bukele, le nouveau président du Salvador vient rompre le traditionnel bipartisme

Issu de la gauche, cet ancien maire de San Salvador, à 37 ans, gouvernera le pays à droite. Jeune et futur papa, ancien maire proche des millenials et quasi-chef d’entreprise qui a atterri en politique grâce à ses sympathies pour le Front de gauche Farabundo Martí pour la Libération Nationale, Nayib Bukele a remporté les élections présidentielles de dimanche dernier au Salvador avec plus de 53% des voix. Ironie du sort, son arrivée à la présidence rompt le traditionnel bipartisme, face à la Grande Alliance pour l’Unité Nationale (GANA) de droite. Nous traduisons ici un article publié par El Clarín.

Photo : Enlace Judio

Bukele, témoignant d’une ambition politique marquée, a été exclu du FMLN, mais sa persévérance lui a permis de se faire une place à la GANA, un parti totalement opposé à celui qui l’a conduit au mandat municipal, d’abord de Nuevo Cuscatlán (2012-2015) et plus tard de San Salvador (2015-2018). Connu pour être «l’hirondeau», à cause de l’emblème de son parti, Nayib Bukele, l’ancien maire charismatique de San Salvador, a réussi à devenir président avec un discours irrévérent envers la politique traditionnelle galvaudée. 

Bukele, qui aime porter des jeans, des chaussettes de couleurs vives (à la Jean Trudeau ?) et très souvent la casquette à l’envers, s’est présenté sous le drapeau bleu ciel de la Grande Alliance pour l’Unité Nationale (Gana, conservatrice). Par des phrases courtes réclamant des politiques qu’ils «rendent ce qu’ils ont volé», ou affirmant que «l’argent porte ses fruits quand personne ne le vole», il a sympathisé avec les jeunes, avec qui il n’a cessé de rester connecté via les réseaux sociaux pendant la campagne, faisant ses promesses de campagne par Facebook Live. En tant que maire de San Salvador, il s’est identifié comme faisant partie des «millenials»[1], au point de projeter sur la place El salvador del Mundo un film de la série animée Dragon Ball, de participer à des compétitions de paintball ou à des manèges à sensation. 

«À partir de demain, il nous revient à tous de commencer à construire le Salvador que nous voulons. Le Salvador que nous souhaitons ne dépend pas d’un groupe, d’un président, mais il dépend de chacun de nous», a-t-il déclaré lors de la célébration de sa victoire sur une place de la capitale. 

Bukele est né le 24 juillet 1981, fils du feu chef d’entreprise Armando Bukele, un docteur en chimie industrielle et représentant de la communauté salvadorienne d’origine arabo-palestinienne, et d’Olga Ortez. Il a deux frères, Yamil et Karim Bukele. Il a fait des études de Droit à l’université jésuite centro-américaine de San Salvador (UCA), même si ses opposants ont mis en doute l’obtention de son diplôme sachant qu’il s’est consacré, depuis ses 18 ans, au travail dans une entreprise de son père. Le président élu est marié avec Gabriela Rodríguez et le couple attend un bébé. 

Des racines qui arrivent jusqu’au FMLN

La famille Bukele sympathisait avec les principes de justice sociale que brandit la guérilla de gauche du Front Farabundo Martí pour la Libération Nationale (FMLN) dans les années 1980, et finit par abriter certains de ses dirigeants malgré le risque d’emprisonnement ou même de mort que cela représentait. 

D’après le livre Qui est Nayib Bukele ?, du journaliste Geovani Galeas, par un après-midi de 1987, le candidat a fait pénétrer secrètement chez lui le chef de file guérillero Schafik Handal, un des cinq commandants de la direction du FMLN. C’est ainsi qu’il a hérité de sa famille la sympathie pour l’ancienne guérilla qui, après la fin d’une guerre civile de douze ans, s’est convertie en parti politique en 1992. 

En 1999, d’après une agence de publicité de sa famille, Bukele a travaillé pour une campagne présidentielle que le FMLN n’a pas réussi à remporter, avec l’ex-commandant Facundo Guardado comme candidat. 

C’est en 2011 qu’il s’est présenté au FMLN pour le mandat municipal de Nuevo Cuscatlán, une commune de dix mille habitants voisine de la capitale, où Bukele a intégré la politique, gagnant l’élection de mars 2012. En novembre 2014, dans le cadre de la Journée mondiale des villes, l’ONU l’a invité pour parler de sa gestion novatrice de Nuevo Cuscatlán. 

Face à sa popularité, le FMLN l’a présenté comme candidat pour récupérer la mairie de San Salvador, qui était aux mains de la droite, lequel arriva à ses fins pour la période 2015-2018. En tant que maire de San Salvador, ses projets phares ont été la mise en place de l’éclairage public dans toute la capitale et la rénovation d’une partie du centre historique. 

Exclusion et passage à droite

Des divergences de Bukele avec la direction de l’ancienne guérilla résulta son exclusion en 2017, année où il fonda Idées nouvelles, un mouvement qu’il a tenté de légaliser comme parti politique, mais qui ne satisfaisait pas aux exigences de la loi électorale. 

Après cette tentative frustrante, il a cherché une place au Centre démocratique (CD) pour se présenter sous sa bannière aux élections présidentielles, mais le parti a été supprimé sans atteindre le minimum de cinquante mille voix valides aux législatives de 2018. 

À la dernière minute, le président maintenant élu a choisi la possibilité qu’il lui restait : essayer de parvenir à la présidence main dans la main avec la GANA, dont la direction lui a jeté une passerelle pour atteindre l’autre rive, la Maison présidentielle, le 1er juin prochain, quand il sera officiellement nommé président du gouvernement salvadorien. 

Contre le bipartisme

Durant sa campagne, Bukele a condamné les vingt ans de pouvoir de l’Alliance républicaine nationaliste (Arena) de droite et presque dix ans du FMLN. «Ce sont toujours les mêmes (Arena et FMLN) qui pensent que notre peuple ne se réveillera jamais, qui ont essayé de nous dire inlassablement que bien faire les choses était impossible», a-t-il soutenu lors de sa clôture de campagne. Bukele avait anticipé alors qu’il en finirait avec le bipartisme, pour laisser «derrière l’après-guerre une bonne fois pour toutes». 

Sous la bannière de la GANA, Bukele est devenu le premier mandataire à gouverner le Salvador avec une formation politique différente d’Arena, parti qui a dirigé pendant vingt ans le pays (1989-2009), et le FMLN, au pouvoir depuis 2009. Son vice-président sera Félix Ulloa, un avocat de 67 ans, diplômé de l’Université Complutense de Madrid en Espagne. Ulloa a été magistrat du premier Tribunal suprême électoral (1994-1999) créé après les accords de paix qui mirent fin à la guerre civile. 

D’après El Clarín
Traduit par Lou Bouhamidi


[1]Ce terme désigne les personnes nées dans les années 1980 (ndlr).