Saudade, le premier roman d’Ursula Sila-Gasser sur fond d’amertume

Ursula Sila-Gasser est née un mois après mai 68. La question «d`où viens-tu ?» la désarçonne à chaque fois, car la réponse lui semble un peu compliquée. Ursula Sila-Gasser a grandi au Brésil et est désormais thérapeute à Genève. Elle a publié cet été son premier roman intitulé Saudade, qui parle d’exil géographique entre le Brésil et la Suisse, et d’exil intérieur, aux éditions Carnets Nord.

Photo : Carnets Nord

À travers une série de lettres rancunières et sans réponse adressées à un frère perdu de vue depuis longtemps, Mathilde retrace l’histoire de sa famille sur trois générations. Peu à peu, le procédé épistolaire s’efface et fait place aux souvenirs. En cherchant à se rappeler des faits et des anecdotes personnelles, la narratrice tente de comprendre le sentiment d’éloignement qu’elle ressent depuis son enfance.

L’histoire familiale est un va-et-vient incessant entre l’Europe et l’Amérique du Sud. Les grands-parents maternels allemands fuient l’inflation des années 1920 et s’installent au Brésil pour une vie meilleure. Les grands-parents paternels sont suisses, d’une famille de riches industriels. Les parents de Mathilde se rencontrent à Munich, avant de donner naissance à leur fille à Santiago au Chili. À la suite du coup d’État de Pinochet, ils s’exilent à São Paulo où ils restent une dizaine d’année pour mieux repartir vers la Suisse.

Ces déracinements successifs secouent quelque peu la narratrice qui évoque avec nostalgie les lieux de son enfance. Ou plutôt avec «saudade», ce mot typiquement portugais que l’on retrouve dans de nombreuses productions artistiques des cultures lusophones et qui exprime la présence ou le désir intense d’un manque, mélangeant tristesse et jouissance douce-amère.

Le roman dévoile subtilement les liens entre les membres de cette famille éclatée de part et d’autre de l’Océan Atlantique et la difficile construction d’une petite fille introvertie. Si le père est principalement imprévisible et terrorisant, le personnage de la mère s’avère aussi tendre que culpabilisante vis-à-vis de sa fille. Les pressions sociales et psychologiques, les regrets de l’enfance et les désillusions de l’âge adulte semblent ainsi écraser la narratrice qui cherche à trouver un sens à son existence. L’écriture et la parole seront un remède salvateur.

Gabriel VALLEJO

Saudade d’Ursula Sila-Gasser, Carnets Nord, 208 p., 15 €.

Après un doctorat en biochimie, Ursula Sila-Gasser a travaillé dans la recherche, espérant y étancher sa soif de sens et d’émerveillement. Mais sans doute à cause de son âme ébréchée, elle brise une éprouvette après l’autre. Elle préfère alors arrêter le massacre, réparer ses fêlures, suivre des formations en thérapie et utiliser son expérience et ses apprentissages pour aider d’autres personnes. Aujourd’hui, elle est heureuse de recevoir ses patients dans son cabinet en vieille ville de Genève. Dès qu’elle a un moment, elle plonge sa plume dans son vécu, ses rencontres, ses apprentissages. Elle en tire des fils, dont elle tisse de nouvelles histoires, qui, espère-t-elle, sauront panser d’autres âmes ébréchées.