Le sang et les larmes de la corruption après l’explosion d’un oléoduc au Mexique

Tlahuelilpan, État d’Hidalgo, Mexique. 60, 80, 94… Le nombre de victimes de l’explosion d’un oléoduc, le 20 janvier 2019, s’est aggravé au fil des jours. Les images sont spectaculaires et dramatiques. Elles ont fait le tour du monde. Sans doute ont-elles attiré l’attention plus ou moins distraite de téléspectateurs voyeurs. Mais au delà ? Que disent ces reportages chocs ? Comment cette explosion ? Pourquoi ? Pourquoi toutes ces victimes ?

Photo : Infobae

La rumeur avait fait rapidement le tour de cette petite ville de 20 000 habitants située à 100 kilomètres au nord de Mexico. Le porte-à-porte, WhatsApp, annonçaient la bonne nouvelle. L’essence est gratuite, l’essence coule à flots, il suffit de venir la chercher. À quelques centaines de mètres, prés du collège de bacheliers de l’État d’Hidalgo, d’un canal d’irrigation et d’un champ de luzerne. La ruée avait été immédiate. Des centaines de gens simples, seaux et bidons en plastique en mains, s’étaient précipités sur le lieu indiqué.

Un témoin raconte : «L’odeur d’essence couvrait tout. Le carburant se gazéifiait au-dessus du champ de luzerne. Des gens s’évanouissaient, incommodés. L’essence s’échappait d’une fuite et se déversait dans le canal d’irrigation. Tout autour, des nuées de personnes venues en motos ou même avec leurs voitures. Beaucoup utilisaient leurs téléphones portables. Le danger d’explosion était évident. Je suis parti en courant. Cinq minutes plus tard tout sautait[1].»

Reste à savoir qui a ouvert les vannes de la canalisation. Et pourquoi cette personne l’a fait. L’enquête le dira. Peut-être. Une certitude : il s’agit d’un acte malveillant. Qui n’a pas été commis par les malheureux qui se sont précipités sur l’aubaine d’une collecte de carburant gratuite. Mais pourquoi donc ce «cadeau» empoisonné, qui a effectivement coûté la vie à près de 100 personnes ?

Le pétrole est l’une des richesses naturelles du Mexique. L’une de ses ressources stratégiques. Pour son économie et ses exportations. Une richesse symbolique, nationalisée par le président Lázaro Cárdenas en 1938. Géré par une société publique préservée depuis par tous les présidents mexicains, la Pemex (Pétroles mexicains). Mais qui est aussi au cœur de bien des convoitises. Convoitises extérieures, et en particulier des États-Unis voisins qui, à de multiples reprises, ont demandé sa privatisation, ou au minimum son ouverture au capital étranger. Convoitises internes également. Ayant attiré toutes sortes de délinquants en cols blancs et de petits trafiquants.

On a donné un nom à ces détournements de combustibles, huachicol. Et à ses acteurs celui de huachicoleros. C’est un mot bien castillan, en dépit des apparences. Venant du latin aquati, mouillé d’eau. En d’autres termes il s’agit d’un liquide adultéré et par extension volé. À grande échelle. Les estimations publiées signalent plus de 47 000 oléoducs victimes de pontages de janvier à octobre 2018. Dans 27 États de la fédération. Les chiffres sont en augmentation continue depuis l’année 2000. Cette année là, il y avait eu 155 pontages dans 17 États. La Pemex aurait perdu 60 milliards de pesos.

Il y a beaucoup de petites mains. Mais aussi des bandes organisées. Les mêmes d’ailleurs que l’on retrouve dans le trafic de stupéfiants. Le nom des Zetas et de Jalisco Nueva Generación sont le plus souvent cités. Mais aussi des complicités bancaires. Pour permettre le blanchiment de l’argent de ce pétrole volé. Et bien d’autres. Au sein de la Pemex, des pouvoirs locaux et de la police. Un policier huachicolero, interrogé par un journaliste, reconnaît «que ce qu’[il] fait n’est pas bien, mais que l’attrait de l’argent a été le plus fort». «Policier, explique-t-il, je gagnais 5400 pesos mensuels [270 dollars]. Huachicolero, je touche 500 000 pesos [25 000 dollars].»

AMLO, Andrés Manuel López Obrador, président depuis le 1er décembre 2018, a décidé de tordre le cou à la corruption. Pour rendre sa légitimité à l’État et aux règles de droit. Et ainsi dégager les moyens financiers donnant aux autorités les moyens d’une politique d’investissements publics dont le pays a besoin. La bataille a été engagée le 27 décembre 2018. Plusieurs oléoducs ont été fermés. Pour vérification et élimination des pontages. L’armée a été envoyée dans les installations de la Pemex. Des camions citernes ont été mobilisés pour alimenter les stations-service. Ils circulent en convois escortés par les forces de sécurité. Des cadres de la Pemex, complices de détournement, ont été arrêtés. 24 centres bancaires couvrant les activités des huachicoleros ont été bloqués dans les États de Guanajuato, Puebla, Hidalgo, Querétaro, et Mexico Ville.

Les bénéficiaires de ces trafics ont réagi. Des camions citernes ont été volés. Les détournements d’essence continuent. Perçages et obturation des canalisations alternent dans la même journée. Les voleurs enfin n’hésitent pas à prendre la population à témoin et en otage, au risque de provoquer la mort d’innocents comme à Tlahuelilpan. En dépit des pénuries provoquées par cette bataille, 74,5% des Mexicains, selon un sondage du quotidien Universal, appuient AMLO et le gouvernement fédéral.

AMLO, qui joue sa crédibilité et son projet, est décidé à poursuivre son combat anti-corruption jusqu’au bout. «Je m’en fiche, a-t-il déclaré, qu’on me dise messianique, il faut en finir avec la corruption. […] Nous devons arracher à la racine ce mal […] pour purifier la vie du pays […] L’honnêteté doit devenir la cadre de notre vie et du gouvernement.» Conscient des risques personnels qu’il prend en poursuivant ce combat, AMLO a publiquement signalé qu’il ne se déplacera plus en hélicoptère ou en avion.

Jean-Jacques KOURLIANDSKY


[1] El Sol de México, 21 janvier 2019.