Camilo Catrillanca, jeune Mapuche tué sans aucune justification par la police chilienne

Des plaintes pour vol de voiture dans une petite ville d’Araucanie, puis Camilo Catrillanca, un jeune mapuche tué par balle par le commando «Jungle» des forces de sécurité chilienne. Une carte mémoire de caméra embarquée qui est détruite. Un témoin de 15 ans qui aurait été torturé. Un journaliste révèle l’existence d’une liste de personnalités mapuches surveillées. Tout cela dans le climat militarisé d’une zone rurale où un peuple indigène tente de défendre ses droits face aux grandes entreprises forestières.

Photo : Alberto Valdés (EFE)

Cela pourrait être la quatrième de couverture d’un nouveau thriller, le Millenium sud-américain. Mais il s’agit de la nouvelle affaire secouant le Chili depuis quelques semaines. Le temps passe et les circonstances de la mort de Camillo Catrillanca se troublent de plus en plus. Le 14 novembre dernier, dans la commune d’Ercilla, à 600 kilomètres au sud de Santiago, trois véhicules de professeurs d’une école sont volés. Selon les forces de police, la suite de l’enquête mène les gendarmes à la communauté mapuche de Temucuicui. À leur arrivée sur place, une fusillade éclate et Camillo Catrillanca est tué alors qu’il tentait de fuir.

Dès la mort du jeune homme, des voix s’élèvent pour demander à ce que les circonstances du drame soit éclaircies. Le vice-président et ministre de l’Intérieur, M. Patricio Chadwick, annonce le 16 novembre que Camillo Catrillanca avait des antécédents judiciaires. Peu de temps après, sa famille rend public l’extrait du casier judiciaire de la victime, et M. Chadwickre revient sur ses déclarations. Camilo Catrillanca n’avait pas d’antécédents judiciaires mais était connu des services de police.

Par ailleurs, les gendarmes ne peuvent pas prouver que Camilo Catrillanca était lié au vol de voiture. Plus grave, il est rapidement établi qu’il ne fuyait pas et qu’il a été abattu d’une balle à l’arrière de la tête alors qu’il était au volant de son tracteur. Un adolescent de 15 ans l’accompagnait et devient ainsi le principal témoin de sa mort. Arrêté par les forces de l’ordre, l’identité de l’adolescent est gardée secrète.

Le 21 novembre, le Général Hermes Soto, à la tête du corps des Gendarmes, déclare devant la commission Sécurité de la Chambre des députés qu’un de ses hommes a détruit la carte mémoire de sa caméra embarquée. Ce gendarme portait en effet, lors de l’opération ayant aboutie à la mort de Camilo Catrillanca, une caméra GoPro dont les images auraient pu éclairer les circonstances du drame. La raison avancée pour expliquer cette destruction est que cette carte mémoire contenait également des images intimes de lui et de sa femme.

Le jeune témoin qui accompagnait Camilo Catrillanca au moment du drame reste ainsi la seule source disponible pour que la justice puisse comprendre le déroulement des évènements. De nouveau, les méthodes des forces de l’ordre sont remises en question. L’Institut des Droits Humains a ainsi annoncé porter plainte contre l’État, disant avoir la preuve que ce jeune homme avait été victime de torture lors de sa détention.

Plusieurs éléments inquiètent la défense. L’avocat de la famille Catrillanca réclame en effet la restitution des vêtements de la victime, ceux-ci ayant mystérieusement disparus entre le moment de sa mort et son arrivée à l’hôpital. Toutefois, d’après les premiers éléments de l’enquête, aucune trace de poudre n’a été relevée, que ce soit sur les vêtements ou sur le corps de Camilo Catrillanca, mettant à mal la thèse d’un affrontement armé. Par ailleurs, l’enquête établit que 21 douilles de balles ont été retrouvées sur les lieux, ce qui effrite un peu plus la version officielle des gendarmes, qui disent avoir répliqué de manière proportionnelle à des tirs.

De plus, le groupe de gendarmes qui a pris en charge cette affaire de vol de voiture est un commando surnommé «Jungle». Il s’agit d’une unité de 80 hommes récemment créée, formée aux États-Unis et en Colombie à la lutte armée contre les narcotrafiquants en terrain hostile. Une partie de l’opposition s’est interrogée quant à la pertinence d’une telle unité dans le cadre de la lutte contre les Mapuches, mettant en avant la faible dangerosité des mouvements de défense indigènes et questionnant l’assimilation des Mapuches à des réseaux terroristes.

Surtout, ce groupe ne devait intervenir, selon ses ordres de mission, que dans le cas d’affrontements entre les forces de l’ordre et des groupes armés. Il est donc incompréhensible pour une partie de l’opinion publique que ce soit ce commando qui ait pris en charge ce qui au départ n’était qu’une affaire de vol de voiture. Les groupes mapuches et leurs sympathisants soupçonnent ainsi une volonté de militariser tout délit impliquant les communautés indigènes. Par ailleurs, comme le souligne la Comission Interaméricaine des Droits de l’Homme, Camilo Catrillanca était connu pour avoir été un des leaders des manifestations étudiantes en 2011 et était un des porte-paroles de sa communauté.

Enfin, le 27 novembre dernier, un journaliste du média d’investigation Centro de Investigación e Información Periodistica (Centre d’Investigation et d’Information Journalistique) révèle l’existence d’un fichier policier listant les principaux meneurs des organisations mapuches. Ce document a été élaboré par la Unidad de Inteligencia Operativa Especializada de Carabineros (Unité Spécialisée du Renseignement Opérationnel des Gendarmes). Cette unité aujourd’hui dissoute est également celle qui est impliquée dans «l’affaire Ouragan», un cas ayant révélé la fabrication de fausses preuves par cette unité pour pouvoir inculper plusieurs mapuches de crimes et délits qu’ils n’ont pas commis.

Ce fichier, recensant de nombreuses personnalités mapuches, comprend à la page 24 les membres de l’Alianza Territorial Mapuche (Alliance Territoriale Mapuche), une organisation défendant les droits de la communauté. Cette organisation est non-violente et a été à plusieurs reprises sollicitée par les différents gouvernements pour travailler sur les problématiques liées aux Mapuches. Le grand-père de Camilo Catrillanca, Juan Segundo Catrillanca, à la tête de l’organisation, et d’autres membres ont même participé à des réunions de travail à la Moneda lors du premier gouvernement Piñera (2010-2014). Le document contient également des commentaires sur les opinions politiques et les amitiés (sur les réseaux sociaux) de nombreux membres d’organisations mapuches diverses.

Pour le moment, l’enquête n’a pas permis d’établir qui a tiré sur Camillo Catrillanca. Le Ministère Public a ouvert trois enquêtes. La première concernant le vol de voiture initiale, la deuxième sur la mort de Camilo Catrillanca, et la troisième porte sur la destruction de preuves et les faux témoignages des policiers impliqués. Une quatrième pourrait être ouverte à partir de la plainte de l’Institut des Droits Humains concernant les actes de torture subis par le jeune témoin.

La Commission Interaméricaine des Droits Humains a fait part de sa préoccupation et appelle l’État chilien à enquêter de manière impartiale et rappelle que les forces de sécurité sont tenues de respecter les normes du droit international. Des sanctions administratives ont déjà été prises à l’encontre des gendarmes. Quatre hommes du commando «Jungle» ont été exclus des forces de police, le général et le préfet des forces de sécurité en Araucanie ont été contraint de démissionner. Par ailleurs, l’Intendant régional, nommé par le président, a quitté ses fonctions. Le président Sebastián Piñera s’est rendu dans la région à l’occasion de la nomination du nouvel Intendant.

Ces tristes évènements ont évidemment engendré plusieurs manifestations, aussi bien en Araucanie qu’à Santiago. Plusieurs affrontements entre les forces de l’ordre et les manifestants ont éclaté, y compris dans le cortège funéraire menant Camilo Catrillanca à sa dernière demeure. Celui-ci rejoint les nombreux mapuches tués ces dernières années en Araucanie, conséquence directe d’une militarisation toujours plus importante du conflit social, avec toutes les violences que cela engendre.

Rai BENNO
Depuis Santiago du Chili