La légende de Santiago, le nouveau polar du Chilien Boris Quercia

Il n’y a pas qu’en Europe que les migrants sont un sujet de discussion et de polémiques. On le sait moins ici, mais l’Amérique latine, et pas seulement dans la zone Mexique-Amérique centrale, est aussi le théâtre de vagues d’émigration des pays les plus pauvres vers ceux qu’ils imaginent plus favorisés. À Santiago comme ailleurs, ils sont victimes de manifestations de racisme qui peuvent dégénérer. Pour la troisième fois, on retrouve Santiago Quiñones, le flic chilien, mûrissant, problématique et sympathique, dont on aura du mal à savoir si ses ennemis principaux sont professionnels ou personnels.

Photo : Wikimedia Commons/Asphalte

Le pauvre Quiñones est au fond d’un gouffre matériel et mental, et le premier chapitre l’enfonce encore plus. Difficile de faire pire, et pourtant il y parvient ! Ce n’est pas la bonne volonté qui lui fait défaut, malgré quelques travers : sa fidélité n’est pas exemplaire, sa consommation de substances non autorisées ne diminue que lentement et il n’est pas à l’abri d’une éventuelle bavure, y compris dans sa vie personnelle.

Il connaissait depuis un certain temps l’existence d’une «deuxième famille» qu’avait son père, phénomène assez fréquent en Amérique latine, il savait qu’il avait un demi-frère et ce Gustavo, qui ne lui plaît pas du tout, s’impose à lui. Une complication de plus !

Pendant ce temps, les crimes contre les étrangers se multiplient et les milieux d’extrême droite se réjouissent des violences perpétrées contre eux, on croise même des punks-nazis, de l’eau de Javel est trouvée dans des yaourts achetés dans une supérette d’un quartier défavorisé, et commence à apparaître un logo représentant deux balais entrecroisés qui signifie : «Nous nettoierons le Chili des envahisseurs étrangers.» L’ombre d’un autre cadavre, beaucoup plus proche de Santiago, plane sur toute cette enquête et se réveille dans ses pensées, s’atténue, jamais très longtemps, pour mieux revenir.

Heureusement, il reste des zones de lumière, comme cette juge d’instruction nommée dans l’affaire, qui est une connaissance de Quiñones : qu’il est bon de se rendre de petits services mutuels, en toute discrétion ! Surtout si l’on connaît les faiblesses de l’autre. Une jeune (et jolie) témoin peut aussi donner un coup de pouce au malheureux flic.

Comme à son habitude, Boris Quercia pense en même temps que son personnage, inspiré par les dérives du pays dans lequel ils vivent. Il le fait par petites touches, jamais pesantes, d’autant plus qu’il ne manque jamais d’humour, un humour du genre vachard en général. Et le Santiago du titre n’est pas que la ville, c’est aussi Quiñones, auquel la légende de flic pourri bourré de coke colle à la peau, un flic pourri qui est en même temps, qu’il le veuille ou non, membre d’une famille un peu éclatée qui pourrait se recomposer et qui le nomme lui-même, justement, le Décomposé. Jusqu’à quel point est-elle valable, cette légende, c’est aussi ce que raconte ce polar haletant et désabusé.

Christian ROINAT

La légende de Santiago de Boris Quercia, traduit de l’espagnol (Chili) par Isabel Siklodi, éd. Asphalte, 256 p., 21 €. Boris Quercia en espagnol : La sangre no es agua, ed. Mondadori, Santiago (2019) / Santiago Quiñones, tira / Perro muerto, ed. Mondadori, Santiago. Boris Quercia en français : Les rues de Santiago / Tant de chiens (Grand Prix de Littérature policière 2016), éd. Asphalte.

Boris Quercia Martinic, né le à Santiago, est un acteur, réalisateur, scénariste, producteur et romancier chilien. Il étudie le théâtre à l’université du Chili. Il est l’un des fondateurs du Teatro Provisorio qui devient dans les années 1980 le Gran Circo Teatro, compagnie théâtrale où Boris Quercia joue dans la comédie musicale à succès La negra Ester. Sa carrière de cinéaste commence avec la réalisation des courts métrages Ñoquis et El Lanza. Son premier film est L.S.D sorti en 2000 mais, son plus grand succès est sans doute le film Sexo con amor sorti en 2003.