Macarena Valdés et Santiago Maldonado, morts pour avoir défendu les peuples indigènes

Être militant n’est pas sans risques en Argentine et au Chili. Macarena Valdés et Santiago Maldonado incarnent l’oppression subie par ceux qui défendent les communautés indigènes et l’environnement. Les voix s’élèvent de l’autre côté de l’Atlantique mais les crimes se perpétuent, ces deux portraits ne sont que deux exemples parmi tant d’autres. 

Photo : Resumen Latinoamericano

La région de Los Ríos (Région des Fleuves), terre de forêts, et de fleuves bien sûr, à 750 kilomètres au sud de Santiago, est l’une des régions où la population mapuche est très présente. Les Mapuches sont des indigènes du sud du Chili, et ils luttent aujourd’hui pour la sauvegarde de leur culture et de leur langue. Très souvent, cette défense de leur spécificité culturelle s’accompagne d’une lutte pour la sauvegarde de l’environnement. Toutefois, s’opposer aux grandes entreprises qui exploitent les ressources naturelles du Chili n’est pas sans risque.

Macarena Valdés le savait, mais ne l’acceptait pas. Cette jeune femme de 32 ans, qui faisait partie de la communauté mapuche installée à Panguipulli, a été retrouvée pendue le 22 août 2016 à son domicile. La police a conclu à un suicide. Mais pour les défenseurs de la communauté mapuche et pour les militants écologistes chiliens, cela ne fait aucun doute : Macarena Valdés a été assassinée à cause de son opposition à une centrale hydroélectrique.

L’entreprise RP Global, au travers du holding RP Global Chile Energías Renovables formé avec le groupe de distribution électrique Saesa, a en effet entrepris en 2015 la construction d’une centrale hydroélectrique sur la commune de Panguipulli, proche du hameau Tranguil où vivait Macarena Valdés, ainsi que son mari et leurs quatre enfants.

RP Global est une transnationale de l’énergie présente en France (où elle exploite quatre sites éoliens), au Portugal, en Allemagne, au Chili, au Pérou, et dans de nombreux autres pays dans le monde entier. Elle est active à la fois dans l’hydroélectrique, le solaire et l’éolien. Lors de la construction de cette centrale sur le Río Tranguil, l’entreprise est décidée à installer des câbles électriques à travers le terrain sur lequel vivait la famille Valdés.

À partir de ce moment-là, les choses se compliquent. La famille Valdés, et en particulier Macarena, s’oppose au projet et refuse que l’entreprise pénètre sur le terrain pour installer les câbles à haute tension. Le 1er août 2016, Macarena est à la tête d’une manifestation qui bloque l’accès au terrain jusqu’à ce que la gouverneure de Valdivia ordonne à l’entreprise de se retirer. La gouverneure accepte le même jour d’organiser une réunion avec les opposants au projet.

Cette réunion a lieu le 19 août et aborde des questions d’ordre général. La gouverneure annonce le report de sa décision, le temps de vérifier certains éléments. Le 21 août, un véhicule de l’entreprise arrive sur le terrain et deux hommes parlent à sa propriétaire, Mme Palnemilla. Ils lui demandent d’expulser la famille, ce qu’elle refuse. Les deux hommes lui auraient alors dit que «quelque chose de mauvais pourrait arriver à l’un d’entre [eux] s’[ils décidaient.] de rester». Le lendemain, Macarena Valdés est retrouvée pendue à son domicile.

Pour les communautés mapuches, il ne fait aucun doute que Macarena a été assassinée. Après que la police a conclu à un suicide, la communauté a entrepris ses propres recherches. Selon des expertises privées, des incohérences graves mettent en doute la version officielle : l’autopsie révèle que les cervicales de Macarena Valdès n’étaient pas cassées comme cela aurait été le cas si elle s’était suicidée. Par ailleurs, la propriétaire du terrain n’a pas pu relater à la police d’investigation les menaces qui ont été proférées le 21 août, les forces de l’ordre ayant refusé d’enregistrer sa plainte.

Au-delà du décès de Macarena Valdés, la communauté mapuche, dont le message est porté par Marcelino Collio, continue de dénoncer les agissements de l’entreprise. Le 23 août 2016, le lendemain de la mort de Macarena, l’entreprise pénètre une nouvelle fois sur le terrain, accompagnée des forces spéciales et de véhicules blindés. La communauté résiste une nouvelle fois et des violences éclatent entre la police et les manifestants, jusqu’à ce que les autorités locales ordonnent le retrait de l’entreprise et des forces de l’ordre. Malgré tout, l’entreprise revient à la charge le 13 octobre de la même année, toujours accompagnée de la police et de véhicules blindés. Cette fois, ils réussissent à installer les câbles électriques.

La communauté et l’Observatoire latino-américain des conflits environnementaux continuent de dénoncer ce projet, qui viole la Convention 169 relative aux peuples indigènes et tribaux de l’Organisation internationale du travail pourtant signée par le Chili. Cette convention rend obligatoire la consultation des populations locales en cas de tels projets. De plus, il semble que ce projet viole les restrictions édictées par le Service national de tourisme qui protège cette zone. Par ailleurs, la centrale affecte huit kilomètres du fleuve contre les deux initialement prévus et autorisés, et n’a pas fait l’objet d’une étude d’impact sur l’environnement, en plus d’avoir dévié le cours du fleuve de 200 mètres environ. Enfin, RP Global a installé illégalement la salle des machines sur un terrain appartenant à une famille de la communauté.

Par-delà les sommets enneigés des Andes, les communautés mapuches argentines sont elles aussi en lutte. Le plus grand propriétaire terrien d’Argentine est le groupe italien Benetton, que l’on ne présente plus. Dans la province Chubut, la communauté Pu Lof occupe donc un terrain revendiqué par le groupe Benetton depuis 2015. En 2017, lors d’une intervention de la gendarmerie argentine, le militant Santiago Maldonado disparaît. Son corps est retrouvé noyé 78 jours plus tard, comme vous le racontait Espaces Latinos le 27 octobre dernier.

En novembre, c’est au tour de la communauté Lof Lafken Winkul Mapu, qui occupe une terre dans la province du Río Negro, d´être victime de la répression. La police fédérale intervient sur l’ordre d’un juge pour déloger les occupants d’une parcelle, puis recherche les Mapuches qui se sont réfugiés dans la montagne. Le groupe Albatros explique avoir alors essuyé des tirs de gros calibre. Ils ont riposté. Quelques minutes plus tard, Rafael Nahuel redescend la colline, soutenu par deux camarades. Il meurt en quelques minutes, les intestins et le foie perforés par une balle venant de derrière lui.

À ce jour, la centrale de Tranguil continue de fonctionner. Les gouvernements chilien et argentin continuent d’enfreindre la Convention 169 de l’OIT qu’ils ont ratifiée. Les conflits environnementaux se multiplient au Chili, en Argentine, mais également dans d’autres pays du continent. Et des militants écologistes sont assassinés, de Mexico à la Terre de feu. En 2016, selon Global Witness, ils furent 200 à être assassinés en défendant l’environnement dans le monde, dont 120 en Amérique latine. Macarena Valdés n’apparaît pas dans cette liste. Le rapport de l’ONG concernant l’année 2017 n’a pas encore été publié. Combien de militants latino-américains figureront sur cette liste ?

Rai BENNO
Depuis Santiago du Chili