Stabilité démocratique et mains propres au menu du VIIIe Sommet des Amériques

Stabilité démocratique et mains propres : c’est sur ces mots que sont fondés les principes du VIIIe Sommet des Amériques. Depuis plus de deux décennies, les chefs d’État des pays américains, de l’Alaska à la Patagonie, se réunissent périodiquement pour traiter de questions concernant le développement économique, la situation sociale et les objectifs politiques du continent. La présente édition du «Sommet des Amériques» aura lieu les 13 et 14 avril à Lima au Pérou.

Tous les trois ans environ, la «promotion de la démocratie», la «défense des droits de la personne», la «garantie d’une approche multidimensionnelle de la sécurité», la «promotion du développement intégré et de la prospérité », l’«appui à la coopération juridique interaméricaine» figurent parmi les thèmes essentiels de ce processus, inauguré à Miami en décembre 1994 sous le patronage du gouvernement de Bill Clinton et l’Organisation des États américains.

La présente édition du «Sommet des Amériques» aura lieu les 13 et 14 avril à Lima (Pérou), et l’annonce de la présence du très controversé Donald Trump semble monopoliser les débats, au point d’occulter ce qui devrait être le thème essentiel de ce VIIIe Sommet : la gouvernance démocratique et la lutte contre la corruption.

En effet, l’arrivée du président des États-Unis, dont les propos anti-latino-américains pendant la campagne électorale de 2016 résonnent encore dans la mémoire collective, a provoqué une vague de critiques au Pérou. Ainsi le parti d’opposition Front Large a présenté au Congrès une motion condamnant la présence du locataire de la Maison Blanche, et demandant qu’il soit déclaré «persona non grata»*.

Rien de nouveau. Les émissaires de Washington ont toujours suscité des réactions violentes en Amérique latine, où il existe un front de refus de l’hégémonie étasunienne ancré dans les gènes depuis plusieurs générations. On se souvient par exemple du IVe sommet des Amériques à Mar del Plata, en Argentine : 40 000 personnes rassemblées dans un stade de football pour dire : «Non à Bush.»

Depuis le premier sommet à Miami donc, les projets sociaux, économiques et politiques prônés par le Nord tout-puissant, et son image inextricablement liée à la finance impérialiste, ont été la principale difficulté pour trouver un consensus global avec le Sud en voie de développement. C’est l’éternelle rivalité panamericanisme étasunien vs. latinoaméricanisme.

Par ailleurs, ce sommet fait ressortir les tensions qui opposent l’administration Trump et le Venezuela, un pays immergé dans le chaos depuis plusieurs années. Si Barack Obama considérait le chavisme comme une menace pour les États-Unis, Donald Trump avait précisé, en septembre dernier, qu’il n’excluait pas un plan d’intervention militaire de la nation bolivarienne.

Dans le même temps, le Pérou a fait savoir que Maduro n’y «sera(it) pas le bienvenu» et lui a demandé de s’abstenir d’y participer. Mais le président vénézuélien avait affirmé qu’il assisterait au sommet des Amériques malgré la mise en garde du gouvernement péruvien : «Ils ont peur de moi ? Ils ne veulent pas me voir à Lima ? Ils vont me voir, qu’il pleuve, qu’il y ait du tonnerre ou des éclairs, par les airs, par terre ou par mer j’arriverai au sommet des Amériques avec la vérité […] du Venezuela», a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse.

Au sein de ce paysage incertain, un fléau qui semble indissociable de la vie politique. C’est justement autour de ce thème, la gouvernance démocratique face à la corruption et l’adoption de mesures concrètes sur ce sujet, que s’articule ce sommet. Or, ironie du destin, le président du pays organisateur, Pedro Pablo Kuczynski, vient de démissionner après la crise politique déclenchée par un scandale de corruption : il a reconnu avoir entretenu des liens non-officiels avec l’entreprise de construction brésilienne Odebrecht, déjà sous l’œil de la justice dans différents pays de la région.

Cette illustration éclatante de l’indigence de la politique anti-corruption trouve un peu partout d’autres exemples qui commencent à voir le jour, notamment au Brésil et en Argentine. Le Pérou est en tête : depuis 1990, ses ex-présidents ont été inquiétés ou mis en examen. Il s’agit sans doute d’un basculement en train de s’opérer dans le domaine de la justice. De ce fait, si cette réunion continentale prétend poser les bases de la lutte contre la corruption, c’est en partie, peut-être, pour établir un nouvel ordre latino-américain, mais surtout pour réduire la pression que l’opinion publique fait peser sur ses dirigeants. Car si le phénomène de la corruption est un véritable désastre qui se répercute sur la santé, l’éducation et la sécurité des habitants, il pourrait entraîner également une catastrophe sociale généralisée. Sur ce thème, il est certain que les hommes politiques n’ont pas oublié les manifestants argentins lors de la crise de 2001, «Que se vayan todos!» (Qu’ils s’en aillent tous!). Ce cri d’indignation est toujours latent sur les lèvres du peuple comme un mantra collectif contre les «vices» du pouvoir.

Tout cela ne fait que confirmer la multiplicité des facteurs qui influent sur le comportement, et les résolutions d’une classe dirigeante de plus en plus méprisée pour ses intérêts égoïstes. La preuve est la création d’autres sommets, comme le Sommet des Peuples, le Sommet de la société civile, le Sommet des jeunes, qui ont lieu en parallèle au sommet des Amériques depuis la réunion au Chili, en 1998. Ainsi, dans le courant de la semaine, une série de rencontres est programmée entre organisations indigènes, syndicats, étudiants, entrepreneurs, militants écologistes, ceux qui dénoncent l’inégalité du salaire des femmes, etc.

En y regardant de plus près, toutes ces initiatives d’intégration économique et sociale révèlent l’aspect utopique de l’avenir : un sentiment qui nourrit l’espoir de retrouver un jour une Amérique latine renforcée dans sa capacité d’harmoniser les rêves de la société, les faiblesses de ses institutions et l’ordre économique imposé par le Grand Nord. Mais, au regard des résultats obtenus après sept réunions depuis 1994, si le sommet des Amériques ne peut pas jouer ce rôle, s’il ne fournit pas le cadre approprié pour mener à bon terme ce projet, alors à quoi sert-il ? Répondre à cette question est le Grand Défi auquel doivent se confronter les chefs d’État réunis au Pérou.

Eduardo UGOLINI

*Au moment de boucler l’édition du présent article, Donald Trump a annoncé qu’il ne participera pas au Sommet des Amériques à cause de l’aggravation de la situation en Syrie.