Un cinéaste allemand en visite au Chili pour le tournage d’un documentaire sur Honecker

Erich Honecker a dirigé l’Allemagne socialiste de 1971 à 1989. Durant la dictature de Pinochet, son gouvernement a octroyé l’asile à cinq mille Chiliens. Honecker est mort au Chili en 1994. «Peut-on être reconnaissant envers un dictateur qui t’a protégé d’une dictature délétère et t’a accueilli comme exilé ? Ce sont les questions que nous nous posons et dont nous souhaitons débattre dans notre film, en Allemagne, au Chili, et en Russie», a annoncé le réalisateur.

Photo : Mitteldeutscher Rundfunk

Le cinéaste allemand Thomas Grimm (Aue, 1954) arrivera ce vendredi au Chili, dans le cadre du tournage d’un documentaire sur Erich Honecker, ex-leader de la République démocratique allemande (RDA), et décédé au Chili en 1994. «Nous travaillons sur un film qui traite de la vie d’Erich Honecker après sa chute à l’automne (boréale) de 1989 et sa fuite à travers Moscou jusqu’à son départ pour le Chili», a expliqué le réalisateur à El Mostrador.

Aux côtés de son équipe, Grimm réalisera plusieurs interviews ; il a également participé à la deuxième rencontre des Hijos del Exilio (Enfants de l’Exil) — un groupe d’hommes et de femmes nés à l’étranger pendant la dictature, ou ayant vécu l’exil étant enfants — qui a eu lieu le samedi 7 et le dimanche 8 avril au centre de Santiago du Chili.

Le cinéaste a déjà derrière lui une longue carrière en Allemagne, avec une vingtaine d’œuvres à son actif. Sa visite a également pour objectif de documenter par des photographies le livre biographique qu’il a écrit avec Roberto Yáñez, petit-fils d’Honecker, et dont la sortie est prévue en Allemagne pour septembre prochain.

Une réflexion sur deux dictatures

En pleine chute du socialisme en Europe de l’Est, Honecker a dû quitter son poste en octobre 1989. Après la chute du mur de Berlin en novembre, il a trouvé refuge en Union soviétique (URSS), plus précisément à l’ambassade chilienne de Moscou, alors dirigée par Clodomiro Almeyda, auparavant exilé en RDA. La RDA a accueilli environ cinq mille Chiliens pendant la dictature de Pinochet, dont certaines personnalités comme l’ancienne présidente Michelle Bachelet, l’ancien ministre Enrique Correa ou encore l’actuel chancelier et ancien communiste Roberto Ampuero.

Finalement, Honecker a été livré aux autorités allemandes, qui le jugèrent pour plusieurs morts survenues sur le mur de Berlin. Il fut emprisonné de 1992 à 1993, puis libéré pour raisons médicales. Il se rend alors au Chili avec sa femme Margot — leur fille Sonia s’était mariée avec un Chilien et avait eu avec lui un fils, Roberto — et meurt au mois de mai 1994. Margot a quant à elle vécu au Chili jusqu’à sa mort en 2016.

«L’ambassadeur allemand au Chili à l’époque, Wiegand Pabshc, a qualifié les disputes à propos d’Honecker de « fait gênant » dans les relations germano-chiliennes. Nous souhaitons discuter avec ceux qui se trouvaient à Santiago à ce moment-là. Avec Enrique Correa (exilé lui aussi en RDA), qui a dû expliquer aux Allemands le point de vue chilien en tant que porte-parole gouvernemental du président Aylwin», a commenté Grimm.

«C’était une situation historique compliquée : le Chili sortait de la dictature, la RDA se transformait en Allemagne et l’URSS éclatait. Nous voulons montrer dans le film ce moment de tension avec toutes ses implications politiques dans l’affaire Honecker. Et nous voulons que les Chiliens aient dans le film l’espace nécessaire pour donner leur opinion. Dans l’affaire Honecker, le Chili s’est comporté de manière très honnête, avec une diplomatie courageuse et intelligente. Nous espérons aussi pouvoir nous entretenir avec l’ancienne présidente Michelle Bachelet.»

Grimm souligne que le film abordera des thèmes tels que le dépassement des dictatures et la manière de se battre pour le droit d’asile. «Peut-on être reconnaissant envers un dictateur qui t’a protégé d’une dictature délétère et t’a accordé l’asile ? Ce sont les questions que nous nous posons et autour desquelles nous souhaitons débattre dans notre film, en Allemagne, au Chili, et en Russie.»

Réunion de fils d’exilés

Le cinéaste a également filmé la rencontre d’un groupe de fils d’exilés qui [a eu] lieu ce week-end au siège du syndicat Construmet — la deuxième rencontre après un premier événement réalisé en décembre à Santiago.

L’objectif de ces rencontres est de choisir un «genre d’organisation qui [les] représente et un président provisoire», a souligné Juan Carlos González, membre de la commission organisatrice de l’événement. «Nous sommes une association d’enfants de l’exil, victimes directes de la dictature. Entre autres choses, nous traiterons de sujets comme d’éventuels dédommagements», a-t-il expliqué. « Nous voulons saisir l’opportunité de filmer cette rencontre. L’exil pendant l’enfance, où l’on forge ce qui sera plus tard notre personnalité, a été peu pris en compte », a souligné Grimm.

« Nous voulons insister sur ce sujet et aussi faire qu’on en débatte en Allemagne. Ça pourrait être un projet cinématographique conjoint entre le Chili et l’Allemagne. Le sujet de l’immigration et de l’exil est de grande actualité en Allemagne et se trouve au centre de nombreux débats, à droite comme à gauche. La rencontre des enfants de l’exil peut jouer un rôle particulier dans cette thématique. »

La première de ces rencontres a eu lieu en décembre lors d’une réunion au quartier Yungay, où étaient présentes plus de cinquante personnes ayant vécu l’exil dans des pays comme l’Argentine, le Brésil, Cuba, l’Allemagne, la Roumanie, la Suisse et la Suède, entre autres.

Selon la Commission chilienne des Droits de l’Homme (1993), au moins 200 000 Chiliens se sont exilés après le coup d’État militaire de 1973. Des milliers d’enfants sont partis avec leurs parents ou sont nés à l’étranger. Résultat du terrorisme d’État et de l’éducation en pays étrangers, nombre d’entre eux ont souffert de problèmes physiques et mentaux dont les séquelles subsistent encore aujourd’hui.

Les inscriptions sont ouvertes et les intéressés peuvent contacter González à son adresse mail juanca_1972@yahoo.es.

Un livre sur Roberto Yáñez

Enfin, Grimm profitera également de sa visite pour travaille à son prochain livre J’ai été le dernier citoyen de la RDA – Ma vie comme petit-fils de Honecker (Editorial Suhrkamp), écrit avec Roberto Yáñez et qui sera publié le 10 septembre prochain.

«Les gens connaissent peu des dernières années d’Erich et de Margot Honecker, qui ont obtenu l’asile politique au Chili. Aujourd’hui, deux ans après la mort de Margot Honecker, son petit-fils, Roberto Yañez, brise le silence. Pour la première fois, il évoque sa vie de « petit-fils favori » et raconte ce qui s’est passé après la chute de son grand-père et l’effondrement de la RDA» (critique du livre à venir).

Yañez, fils de Sonia Honecker, a grandi avec les privilèges du pouvoir. À la chute du Mur, il avait 15 ans. Ses grands-parents bien aimés ont été poursuivis comme des criminels et lui-même se sentait poursuivi, y compris à son départ pour le Chili, le pays de son père.

«Il a eu du mal à se repérer dans cette culture étrangère. Après la séparation de ses parents, il a déménagé avec Margot Honecker, qui maintenait sa fidélité aux idéaux de la RDA. Roberto désobéit encore et encore à ses règles strictes et cherche dans la rue une vie nouvelle entre art, drogues et musique. Mais sa grand-mère a toujours été sa principale figure de référence, et il est toujours revenu vers elle. À sa mort en 2016, il a pu se libérer du poids de son histoire familiale et raconter son enfance, la fin de la RDA, la manière dont l’ont vécue les Honecker en tant que famille, et les dernières années de ses grands-parents au Chili

D’après El Mostrador
Traduit par Léa JAILLARD