Julian Assange, réfugié à l’ambassade d’Équateur à Londres, désormais privé d’internet

Le 28 mars, le gouvernement équatorien confirmait avoir coupé toute communication possible avec l’extérieur à Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, réfugié à l’ambassade d’Équateur à Londres depuis 2010, en représailles d’un tweet dans lequel Assange avait comparé l’arrestation du président de la Catalogne Carles Puigdemont à l’arrestation en 1940 du président catalan Lluís Companys. Nous traduisons ici un article diffusé par l’Agence latino-américaine d’Information (ALAI).

Photo : Andes – ALAI

En 1940, la Gestapo avait arrêté le président catalan Lluís Companys en Allemagne à la demande du gouvernement espagnol. Companys fut déporté vers l’Espagne et exécuté par le gouvernement fasciste de Franco. Selon le gouvernement équatorien, Julian Assange avait signé un accord selon lequel il n’interviendrait pas dans des affaires de politique extérieure tant qu’il serait dans l’ambassade équatorienne à Londres. Selon quel point de vue le tweet d’un journaliste représente une «ingérence» en politique étrangère ? Argumenter qu’un tweet d’Assange est une ingérence en affaires étrangères équivaut à nier la liberté d’expression à un des journalistes et éditeurs les plus importants de la dernière décennie. Rappelons que WikiLeaks a publié ces dix dernières années plus d’informations secrètes que tous les autres médias combinés, sur des traités commerciaux, la vigilance massive, les attaques contre des civils, les tortures et assassinats commis par les gouvernements états-uniens et d’autres pays en Irak, Afghanistan, Yémen ou Syrie… Une grande partie des révélations lui furent remises par des lanceurs d’alerte tels que Chelsea Manning, qui ont mis leur vie et leur liberté en danger pour défendre le droit des gens à être informés, à connaître la vérité.

En lui octroyant protection dans son ambassade il y a six ans, le gouvernement de l’Équateur a démontré son attachement et son respect des lois internationales en faveur des réfugiés, et a résisté avec intégrité aux pressions des États-Unis et du Royaume-Uni. Cependant, tant le gouvernement équatorien antérieur que l’actuel ont manifesté à plusieurs reprises leur mécontentement par rapport aux opinions politiques que Julian Assange émet depuis le consulat de Londres. En octobre 2016, le gouvernement de Rafael Correa lui avait coupé la connexion internet durant la dernière étape des élections états-uniennes, répondant ainsi peut-être à des pressions du Parti Démocrate qui considérait que sa candidate Hillary Clinton avait été lésée par les révélations de WikiLeaks sur divers thèmes, depuis le favoritisme dans la gestion des primaires qui a nui au candidat Bernie Sanders jusqu’aux accords secrets avec Wall Street et le rôle clé qu’elle a tenu comme Secrétaire d’État dans la sanglante confrontation en Libye et le coup d’État au Honduras.

Récemment, le président Lenín Moreno a publiquement averti Assange de ne pas intervenir dans des affaires politiques, peu après que celui-ci ait diffusé une information favorable à l’indépendantisme catalan. Moreno, qui se dit être une personne ouverte au dialogue et modérée, n’a pas hésité à qualifier Julian Assange de «caillou dans la chaussure». Une telle expression est une distorsion de la réalité. Le caillou dans le soulier serait plutôt le gouvernement du Royaume-Uni qui persiste à ignorer le mandat des Nations unies émis en février 2016 qui recommandait «la liberté immédiate» d’Assange. Le Groupe de travail des Nations unies comparait le confinement dans l’ambassade à «une détention arbitraire» et enjoignait aux gouvernements britannique et suédois à mettre fin à la persécution de l’éditeur de WikiLeaks. Cependant, deux ans plus tard, le gouvernement britannique se refuse toujours à accepter la recommandation des Nations unies et continue à mettre en danger la sécurité et la vie de Julian Assange, de même que son droit humain à être avec sa famille et en liberté.

Qualifier Assange de «problème» n’est pas la seule distorsion de la réalité. Politiciens et journalistes persistent à le définir comme «un hacker», et à confondre le rôle d’un lanceur d’alerte avec le travail de WikiLeaks. Ni WikiLeaks ni Assange ne sont des lanceurs d’alerte (whisleblowers). Assange est le fondateur d’une maison d’édition en ligne qui diffuse les révélations des lanceurs d’alerte qui, répondant à leur devoir comme citoyens, dévoilent les actions illégales commises par les gouvernements et/ou les corporations alliées à ces gouvernements, en vertu du Premier Amendement de la Constitution des États-Unis – pour citer le pays dont le gouvernement a ouvert un procès secret contre WikiLeaks et Assange. Éditeur et média engagés à révéler la vérité, ils devraient être protégés, pas poursuivis. Pourtant, Julian Assange et WikiLeaks, non seulement ont été attaqués par des fonctionnaires successifs, depuis des présidents, des sénateurs et des politiciens des deux principaux partis états-uniens (et aussi de l’Union Européenne et de la droite mondiale), mais ils sont aussi attaqués par la presse qui, ces dernières décennies, a évité toute confrontation avec le pouvoir.

Si le gouvernement équatorien retirait sa protection à Assange, la Grande Bretagne le livrerait immédiatement aux États-Unis [où il risque la peine de mort pour «espionnage». NdT]. C’est ce qu’affirment des experts dans ce type de thème, tels que les journalistes Glenn Greenwald et John Pilger, ainsi que des lanceurs d’alerte célèbres tels que Daniel Ellsberg et Edward Snowden. Espérons que l’Équateur n’abandonne pas la défense de Julian Assange, journaliste et éditeur poursuivi pour avoir diffusé les crimes de guerre commis par le pays le plus puissant de la planète. Si l’Équateur faisait marche arrière, non seulement il abandonnerait Assange, mais également toute la population équatorienne qui vit à l’extérieur et qui a besoin des mêmes lois internationales de protection qui protègent aujourd’hui Assange. L’Équateur est un pays de migrants ; d’un total de 17 millions d’habitants, plus d’un million réside aux États-Unis, en Espagne et ailleurs. Que son gouvernement reste un champion des droits humains et crée pour tous un espace de respect dans le monde.

Nous risquons tous de devenir migrants ou réfugiés un jour en cette époque marquée par des migrations massives. Julian Assange, malgré la transcendance immense de son travail comme journaliste et éditeur de WikiLeaks qui a secoué les structures les plus puissantes du monde, est un réfugié de plus, poursuivi et confiné dans une ambassade depuis six ans, malgré le fait que sa détention a été qualifiée d’arbitraire par les Nations unies. Julian Assange serait comme le disait John Berger «l’exemple de ceux qui sont réduits à l’état de décombres parce qu’ils résistent». Mais réduits à l’état de décombres, ils ont plus d’intégrité que tous les autres [1].

Silvia ARANA, ALAI
Traduit par Jac FORTON

[1] Depuis, ALAI fait circuler une pétition : «L’accusation en Suède contre Assange à la base de la demande d’extradition a été retirée. Son seul « crime » est celui d’être un vrai journaliste et de dire au monde les vérités que le public a le droit de savoir. Nous appelons le gouvernement de l’Équateur de rendre à Assange son droit à la liberté d’expression et d’en finir avec son isolement.» Parmi les nombreux signataires : Noam Chomsky, Oliver Stone, Yanis Varoufakis, Pamela Anderson, John Pilger, Alicia Castro, Jean Michel Jarre, Ai Weiwei…