« Lima, la langue au pas » : l’écrivaine Laure Limongi raconte ses Bellas Francesas au Pérou

Du 13 au 24 mars se déroulent, au Pérou et en Colombie, les rencontres des Bellas Francesas organisées par les Nouveaux Espaces Latinos. Avec Pierre Ducrozet et Miguel Bonnefoy, Laure Limongi fait partie des auteurs invités de cette sixième édition. L’écrivaine corse revient sur son voyage de l’autre côté de l’Atlantique et raconte le Pérou et ses langues et, à travers elles, la blessure d’une génération « amputée d’un patrimoine linguistique ». Nous reproduisons ici ses propos tenus dans une tribune de Libération.

Photo : Laure Limongi à la radio, accompagnée des écrivains invités et du directeur de l’Institut français de Lima

Quand l’association Nouveaux Espaces Latinos, via l’Institut français, m’a demandé si cela me disait d’être l’une des voix des Bellas Francesas au Pérou et en Colombie en ce mois de mars, j’avoue avoir accepté dans la seconde avant même d’apprendre que mes talentueux confrères Pierre Ducrozet et Miguel Bonnefoy seraient du voyage, tant nombre d’écrivains latino-américains contemporains font partie de mes lectures admiratives.

Dans l’avion qui nous emmenait de Paris à Lima, ma voisine de rangée, Rita, et moi, sommes passées en douze heures de timides présentations à des discussions à bâtons rompus sur les cultures minoritaires, les recettes de ceviches, le féminisme, le dosage canonique du pisco sour, ce qui lui a permis de m’expliquer son attache à la culture quechua, sa culture, en précisant, que, hélas, elle ne maîtrisait pas la langue alors que ses parents la parlent.

La langue des vainqueurs

Au Pérou, en effet, si les métissages sont divers, les peuples descendant des Incas représentent 45 % de la population. Elle, on l’a lancée dans le monde pour qu’elle réussisse, loin de la langue de ses ancêtres, mais je ressentais en l’écoutant une certaine souffrance à l’idée de ne pouvoir s’exprimer, en dehors de quelques expressions, en quechua, alors qu’elle maîtrise le français, l’anglais et le norvégien en sus du castillan – et je vous assure que ce n’était pas une manière de projeter une blessure linguistique identique.

La langue n’est pas qu’un véhicule et on peut avoir envie de chérir dans sa bouche, dans ses rêves, au fil de sa plume, autre chose que la langue des vainqueurs. Je m’étonnais aussi du fait que, malgré toutes les différences qui peuvent exister entre nos deux pays, nous nous trouvions, à 10 000 kilomètres de distance, un peu dans la même situation linguistique : des ascendants locuteurs alors que nous, nous avons été amputées d’un patrimoine linguistique ; une génération qui semble dans un mouvement de réappropriation – pour traduire le « riacquistu » corse.

Chemins

Quelques heures plus tard, je visitais la Casa de la literatura peruana, qui œuvre à la promotion de la lecture à Lima. Dirigée par Milagros Saldarriaga Feijóo, elle est installée dans l’ancienne gare de Desamparados en plein centre historique, comme pour symboliser la croisée des chemins qu’incarne tout travail littéraire, et comprend un espace d’exposition, une bibliothèque, un café. De nombreuses rencontres, des lectures, des ateliers s’y déroulent.

L’exposition permanente traverse l’histoire de la littérature péruvienne avec comme axe la question de la construction des identités. En effet, en dehors de l’espagnol, 47 langues constituent le patrimoine linguistique du pays. Si seuls le quechua et l’aymara sont des langues co-officielles, ce grand pays bruisse donc de bien d’autres idiomes. « En quelles langues imaginons-nous, expliquons-nous, nommons-nous, inventons-nous, poétisons-nous le monde ? » s’interroge l’exposition. Conserver le patrimoine linguistique mais aussi – et peut-être surtout – l’utiliser dans la vie de tous les jours, dans la création, est une manière d’enrichir considérablement notre palette de sensations, d’attendrir notre regard, de penser avec une nécessaire et généreuse diversité.

Laure LIMONGI
À lire dans le Libé des écrivains