#metoo est-il arrivé jusqu’aux confins de la Bolivie ? Reporters sans frontières s’en mêle

En 2017, la police bolivienne a dû faire face à 4 757 cas de violence sexuelle envers les femmes. Le premier février 2018, Reporters sans Frontières montre son appui et dénonce « la vaste campagne de déstabilisation » contre la journaliste bolivienne Yadira Peláez Imanereico pour avoir déposée une plainte de harcèlement sexuel contre Carlos Flor Menacho, ancien directeur de Canal 7 dont elle faisait partie.

Photo : RSF

Encore une fois, nous sommes face à un autre exemple de ce que des milliers de femmes subissent au jour le jour dans leurs milieux professionnels. Aujourd’hui #metoo est l’exemple d’initiative le plus répandu dans les médias pour briser le silence et exposer des expériences de violence sexuelle contre les femmes. Un mouvement qui a surgi du courage d’actrices comme Ashley Judd et Rose McGowan afin de dénoncer des agressions sexuelles orchestrées par le producteur Harvey Weistein, censé être l’un des plus puissants d’Hollywood. Avec l’hashtag #metoo, depuis octobre 2017, plusieurs femmes des milieux cinématographique et autres commencent à prendre la parole et à dénoncer différentes expériences de violences sexuelles qu’elles ont subi. Évidement, le phénomène s’est répandu dans plusieurs coins du globe terrestre. Cependant les dénonciations, la prise de parole des femmes, et le courage que celles-ci ont eu n’ont pas été reçus de manière unanime dans tous les pays, et la prise de conscience de la violence sexuelle contre les femmes varie d’un État à l’autre.

La Bolivie n’est pas la seule exception, mais nous sommes face à un exemple où les puissants comme Carlos Flor Menacho essayent d’échapper à leurs responsabilités et à la justice. Ce n’est pas la seule plainte de harcèlement sexuel que Carlos Flor Menacho reçoit, une autre a été déposée par Claudia Pardo en 2017, elle aussi journaliste de Canal 7. Ici, ce n’est pas seulement une attaque contre la femme mais également contre la liberté d’expression. Quelques jours après avoir déposé sa plainte, Yadira Peláez est licenciée de BTV le 24 janvier 2017. Le 6 mars, après son licenciement injustifié et une série de diffamations sur son ancien lieu de travail orchestrées par Carlos Menacho, Yadira Peláez décide de rendre public son affaire. Une décision courageuse.

En revanche cette décision n’a pas eu le même effet que des déclarations faites par plusieurs femmes à travers #metoo aux États-Unis. Dans le cas de Yadira Peláez, le choix de rendre public son affaire de harcèlement sexuel comme dernier recours pour combattre les attaques injustes qu’elle a subi, n’a pas porté tous les fruits qu’elle désirait. Elle se retrouve désormais victime d’une campagne de déstabilisation et trois attaques judiciaires ont été lancées par Carlos Flores pour « diffamation » et « calomnie », puis par Gisela López, ministre de la Communication de Canal 7, pour « acharnement et violence contre les femmes », et enfin une troisième plainte déposée par Fabiola Rollano Peña, actuelle responsable de Canal 7, qui l’accuse de « corruption publique ».

Le cas de Yadira Peláez laisse à découvert le paradoxe qui existe en Bolivie et dans plusieurs pays du monde au moment de dénoncer une violence sexuelle. On se rend compte que les femmes, et ici dans le cas de la Bolivie, n’ont pas les garanties pour s’armer de courage et parler d’une agression sexuelle. L’État, la société, les pairs, la plupart du temps n’offrent pas ces garanties, et la victime finit par succomber dans un enfer plus profond.

Peut-être que #metoo avait un contexte différent. Au début, des femmes prestigieuses brisent le silence et « attaquent » (dénoncent, se défendent) un individu censé être tout puissant. Ensuite, l’appui de leurs pairs, ici un nombre important d’actrices, débouche sur un mouvement et cible le reste de la société étasunienne pour qu’elle puisse aussi s’exprimer. C’était l’effet boule de neige. Yadira Peláez et la Bolivie n’ont pas le même effet. Dans les deux cas, il y a un oubli, une discrimination, il n’y a pas d’appui, il n’y a pas de prestige et les femmes, comme le pays, sont mises de côté. « Les tout puissants » traversent les faits et continuent à noyer la victime.

En revanche, des groupes, des associations, des instances comme Reporters sans frontières (RSF), notamment par leurs accusations, essayent d’équilibrer la balance et d’apporter cet appui, cette voix que plusieurs individus n’ont pas, pour réclamer leurs droits et la justice qui leur ont été enlevés. RSF réclame désormais l’abandon des charges retenues contre la journaliste Yadira Peláez dans un pays qui se situe « à la 107ᵉ place sur 180 pays au classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2016. »

Jonathan Z. CORONEL