« Evangelia » du Mexicain David Toscana, la première bonne surprise littéraire de 2018

Et si on avait mal compris les textes saints ? Si on était passés à côté de leur véritable enseignement ? Le Mexicain David Toscana nous invite, dans un roman rempli d’humour, à les revoir légèrement décalés, presque tels qu’ils sont, en ne changeant qu’un détail infime : que se serait-il passé si l’ange Gabriel avait omis de préciser cet unique détail ?

Photo : David Toscana, Memorias de Nomada/Zulma

Eh bien oui, c’est Emmanuelle, pas Jésus, qui naît à Bethléem en cette nuit de Noël, et cela complique considérablement les desseins du Tout-Puissant. À partir de là, beaucoup de choses vont être modifiées dans ce qu’on connaît des bases de la religion dominante en Occident. David Toscana revisite sereinement l’histoire, ce qui l’amène à se poser un certain nombre de questions comme celle de savoir s’il n’aurait pas été plus commode d’organiser une Descension à la place de notre Ascension. Cela aurait réglé des problèmes délicats que des siècles et des siècles n’ont pas permis de clarifier. La virginité de Marie est de ceux-là.

Il s’amuse visiblement beaucoup à transgresser – sans la moindre agressivité, bien au contraire – les mythes bibliques, et il se pose des questions, fondamentales ou non, par exemple sur le buisson ardent, ou il compare la valeur littéraire des textes sacrés aux fables d’Ésope, « bien plus fines et subtiles » (c’est Dieu le Père qui le dit !), ce qui n’est pas faux. L’Éternel lui-même se met d’ailleurs à organiser des soirées littéraires, entouré de ses anges, pour tester ses capacités de conteur. L’Éternel qui éprouve des difficultés à convaincre les misérables humains à croire en Lui : les peuples sont (déjà) de plus en plus détachés de la notion du divin et Il se sent parfois impuissant à relever le défi.

Cette réécriture des textes sacrés en suivant sa propre logique prend des tours d’un comique parfois mordant mais d’une efficacité implacable : notre Emmanuelle ne pouvant pas décemment vivre seule (on sait ce qu’on pensait des filles qui restaient célibataires à cette époque) fera mine d’épouser (sans consommation, n’oublions pas qu’il est un ange !) le premier venu à sa portée, Gabriel, forcément. Ayant pris en quelque sorte la place du Jésus que nous connaissons, il lui arrive de lâcher des phrases sibyllines, comme lui, mais elle est beaucoup plus « humaine » (puis-je employer ce mot ? Je me pose la question !), étant femme, évidemment.

Sainement et gentiment irrespectueuses, ces divagations permettent de déplacer le point de vue traditionnel pour donner une autre notion du sacré, et c’est sacrément drôle ! David Toscana va même jusqu’à avancer quelques variations américaines de la divine légende, une version mexicaine qui ne jure pas avec le reste. Indirectement mais fermement, il fait ressortir le machisme universel : Les Actes des Apôtres, ce titre a de la gueule, qu’en serait-il si on devait avoir comme référence les Actes des Filles ? Et, toujours gentiment, il met le doigt sur des contradictions, morales surtout, que renferment les textes sacrés. Sacrés, mais humains tout de même.

En ces temps où la vigilance envers tout ce que l’on dit ou écrit est devenue obligée, ce livre en choquera-t-il quelques-uns ? Souhaitons que non, il n’y a pas matière, si on reste lucide ; bien au contraire, il ouvre, sainement, une belle réflexion qui ne se prend pas au sérieux bien qu’elle le soit. Et surtout, il garde en permanence un réel respect pour ce que les textes fondateurs ont apporté à des siècles d’humanité, au moins dans une partie du monde. Quelle morale en tirer, rien n’est imposé, chacun trouvera la sienne, qui ne sera pas très différente de celle des Évangiles, des vrais (?) !

Christian ROINAT

Evangelia de David Toscana, traduit de l’espagnol (Mexique) par Inés Introcaso, éd. Zulma, 431 p., 22,50 €.
David Toscana en français : El último lector / Un train pour Tula / L’armée illuminée, éd. Zulma.