Trahison à la patrie et corruption en Argentine : mise en détention de Cristina Kirchner

L’Argentine vient de vivre un moment historique. La Chambre fédérale de Buenos Aires a confirmé la détention provisoire de l’ex-présidente Cristina Kirchner et d’une dizaine de ses collaborateurs, parmi lesquels son ex-chancelier Hector Timerman. Ils ont été inculpés pour avoir signé un accord avec l’Iran en relation avec l’attentat commis à Buenos Aires, en 1994, contre l’Association mutuelle israélite argentine (AMIA).

Photo : Diario Jornada

Quel sort attend le clan kirchneriste ? Certainement le même qu’Amado Boudou, le vice-président de Cristina, ou que Julio De Vido, son ministre de la Planification fédérale, parmi d’autres qui se trouvent derrière les barreaux depuis plus d’un mois, accusés de corruption et d’association illicite. Cependant, dans cette opération de purge sans précédent, l’incarcération de madame Kirchner ne pourrait se faire dans l’immédiat, car elle a été élue sénatrice lors des législatives d’octobre dernier, ce qui lui confère automatiquement l’immunité parlementaire. Par conséquent, il faudrait attendre la fin du procès de retrait d’immunité initié par le Sénat. Ce procès n’a pas été fait, par exemple, à l’ex-président Carlos Menem, qui siège au Parlement en tant que sénateur, même après avoir été condamné pour contrebande d’armes avec l’Équateur.

Selon la justice argentine, Cristina Kirchner et ses fonctionnaires ont orchestré un « plan criminel », afin de conférer l’impunité aux terroristes iraniens imputés dans l’attentat contre l’AMIA ; lequel avait laissé un bilan de 85 morts et 300 blessés. L’accusation est lourde et restera dans l’histoire comme un cas inédit dans le domaine de la justice argentine, car l’ex-présidente a été accusée de complicité et de « trahison à la patrie ».

Nous assistons donc à une réécriture du contrat tacite entre la justice et le peuple argentin, déjà annoncé dans les précédentes newsletters (la situation actuelle de Cristina Kirchner et le présumé suicide du procureur Nisman [1]). Ce qui semblait immuable est en train de changer, les intouchables ont été touchés.

Mais ce n’est pas tout dans cet énorme coup de filet fait au nom de la lutte contre la corruption. Quel sera le prochain choc pour les Kirchner ? En parallèle au procès de l’AMIA, Cristina et ses deux fils sont poursuivis pour « blanchissement d’actifs ». L’investigation date d’avril 2016, lorsque le juge Claudio Bonadio avait considéré l’ex-présidente « pénalement responsable en tant que chef d’une association illicite ». Ils sont accusés de « falsification de documents publics », « subornation », et « blanchissement d’argent » à travers des transactions en connivence avec des entrepreneurs de travaux publics. Toujours dans le même procès, la Chambre fédérale de Buenos Aires a dicté la mise en examen de Romina Mercado, nièce de Cristina, et de son époux et ex-président (2003-2005), feu Néstor Kirchner. La justice a également ordonné la saisie de biens de Cristina Kirchner d’un montant de 7,38 millions de dollars (soit environ 6 millions d’euros).

Ce grand dérangement ne date pas d’hier. Dans les années 1990, Hugo Barrionuevo, le dirigeant péroniste et ex-ministre de Raúl Alfonsín avait dit : « Si l’on arrêtait de voler pendant deux ans, l’Argentine serait le pays le plus riche du monde. » Or, voici ce qui est inscrit sur la couverture de la revue Noticias (Nouvelles) : « Les preuves de l’argent sale de Cristina. » La publication date du 6 septembre 2008 !

« Un repenti donne des détails sur la véritable structure économique mise en place pour que madame Kirchner consolide son pouvoir. Le côté obscur de sa campagne : financiers du triple crime, valises chavistes [allusion à Hugo Chavez], prête-noms, et des pots-de-vin…»

Tout le monde savait qu’il y avait de la corruption autour des grands noms. En novembre 2015, vers la fin de l’ère kirchneriste, le pape argentin François avait declaré : « Un jour j’ai demandé à un ministre de mon pays, un homme honnête qui venait de démissionner car il n’était pas d’accord avec certaines choses un peu obscures : quand vous envoyez de l’aide, soit de la nourriture, des vêtements, soit de l’argent pour les pauvres, combien ils reçoivent ? L’ex-ministre m’a répondu que 35 % seulement, ce qui signifie une perte de 65 %. Ça c’est la corruption. »

En effet, même dans un domaine qui touche au cœur de l’idiosyncrasie argentine : le football, dont la corruption au sein de la AFA (l’Association du football argentin) fait actuellement l’objet d’une investigation menée aux États-Unis en relation à l’affaire FIFAgate. En septembre 2012, Daniel Vila, le propriétaire du Grupo UNO Medios (une des holdings les plus importantes du pays) avait parlé de relation « intime » entre football et politique, car il s’agit d’un « moyen privilégié de communication ». Par rapport à l’administration des ressources, « il vaut mieux ne pas en parler… c’est une honte. Le statut de l’AFA est un pêché, son président dirige la commission exécutive, l’Assemblée, les tribunaux de discipline, la cour d’appel, le Collège des Arbitres et le Conseil fédéral… C’est une autocratie qui a généré une situation de crise. En plus, les soupçons de corruption. » Daniel Vila fait référence à feu Julio Grondona, qui a présidé le football argentin pendant quatre décennies.

Sur ce point, Alejandro Burzaco, l’ex-PDG de Torneos y Competencias (l’entreprise toute-puissante chargée de la diffusion des matchs de football), a déclaré aux États-Unis, où il a été mis en examen après l’investigation menée par la justice de ce pays, selon laquelle des pots-de-vin ont circulé dans le monde du football pendant les deux dernières décennies pour un montant de 150 millions de dollars : « Julio Grondona savait tout et touchait de l’argent cash. » Alejandro Burzaco a affirmé avoir donné 4 millions de dollars à deux fonctionnaires du gouvernement kirchneriste : Pablo Paladino, coordinateur du programme Football pour Tous, et l’avocat Jorge Dehlon. Ce dernier, représentant légal de Football pour Tous, s’est suicidé le 14 novembre 2017 après la publication des déclarations de Burzaco. Par ailleurs, l’entrepreneur repenti, qui s’est déclaré coupable de crime organisé, est le principal témoin contre l’ancien président de la Conmebol, Juan Ángel Napout ; l’ancien numéro deux de la Confédération brésilienne, José Maria Marin ; et l’ex-président de la Fédération du Pérou, Manuel Burga. D’après ses informations, si les enquêtes se poursuivent, l’organisation du football à l’échelle planétaire risque d’éclater, surtout après les soupçons qui pèsent sur l’attribution de l’organisation de la Coupe du monde à certains pays, comme le Brésil et le Qatar.

Cette vague de condamnations et d’arrestations tranche avec les habitudes de l’Argentine, et heurte certainement un secteur de la population jadis favorable au kirchnerisme populiste. Mais le mensonge et la tromperie ont des pattes courtes, et la lutte contre la corruption peut toutefois les rassurer et nourrir les attentes du changement annoncé par le parti Cambiemos (Changeons) de Mauricio Macri. Cela malgré le fait qu’une grande partie de l’électorat n’est toujours pas d’accord avec les réformes entamées par l’actuel président, bien que depuis ce grand ménage dans le domaine de la justice, beaucoup sont en train de changer d’avis. À voir.

Eduardo UGOLINI

[1] Le procureur Alberto Nisman fut retrouvé mort à son domicile, une balle dans la tête, quelques jours avant de rendre publiques des informations très embarrassantes pour le clan kirchneriste : il avait dit que l’ex- présidente avait fait signer un accord avec l’Iran afin de bloquer les demandes d’Interpol concernant les arrestations des terroristes iraniens impliqués dans l’explosion de l’AMIA. C’est justement ce que la justice vient de confirmer.