11e Conférence ministérielle de l’OMC : l’Argentine défend le libre-échange mais interdit l’entrée de soixante responsables d’ONG et de journalistes

Fait exceptionnel dans l’histoire des réunions internationales, le gouvernement argentin a refusé l’entrée et a même expulsé des responsables d’ONG de développement et des journalistes pourtant accrédités par l’OMC. « Oui » aux multinationales mais « non » à la société civile ? Le Sommet des Peuples, un forum alternatif.

Photo : Página 12

Qu’est-ce que l’OMC ?

Selon son site, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) s’occupe des règles régissant le commerce entre les pays. Le but est de « favoriser autant que possible la liberté des échanges ». Pour les organisations de développement, l’OMC défend les intérêts des grandes entreprises transnationales au détriment des intérêts des peuples. Raisons pour lesquelles, à chaque sommet, s’organise un sommet parallèle où militants et organisations anti-mondialistes proposent des politiques alternatives. En octobre dernier, l’OMC a reçu une lettre signée par 300 organisations de développement pour établir leur position : « Ce qui devrait être à l’agenda [du sommet de Buenos Aires en décembre 2017] est de réparer les mauvaises règles et non les étendre, se concentrer sur la transformation des règles internationales qui limitent la capacité des pays en développement à assurer la sécurité alimentaire de leurs populations alors qu’elles permettent aux grands de l’agro-business de recevoir des subventions publiques… ».

Première Conférence OMC en Amérique latine

La session d’accueil des 3 000 délégués de 164 pays s’est réalisée sous la présidence de Susana Malcorra, ancienne ministre des Affaires Étrangères d’Argentine, en présence du directeur général de l’OMC, le Brésilien Roberto Azevêdo. Pour Mauricio Macri, le président argentin, « cette conférence nous permet de renouveler notre engagement ferme envers le renforcement du système multilatéral du commerce. Les problèmes de l’OMC se résolvent avec plus d’OMC et non avec moins d’OMC ». Le sommet aura lieu du 11 au 14 décembre.

Les nouvelles règles selon le président Donald Trump

L’arrivée de Donald Trump à la présidence US a changé la donne car il a lancé son pays sur la piste du protectionnisme tout en voulant forcer le reste du monde à respecter les règles de l’OMC en faveur des États-Unis. Le journal Les Échos du 3 mars dernier rappelle que « le Congrès US avait précisé que les Américains ne sont pas directement soumis aux décisions de l’OMC… ».  Les USA seraient prêts à utiliser « tous les moyens de pression » pour forcer les pays à ouvrir leurs marchés sur la base d’une loi de 1974 qui permet au président des États-Unis d’imposer des sanctions douanières à quelque pays que ce soit. L’agriculture européenne est également lourdement subventionnée par la PAC (Politique Agricole Commune) au détriment de l’agriculture des pays en développement.

Création d’une coalition « L’OMC dehors ! »

Comme à chaque sommet de l’OMC, des organisations sociales, syndicales, droits humains, étudiants, femmes, mouvements politiques, paysans, etc., a organisé une coalition « L’OMC dehors » et une Semaine d’action globale contre le libre commerce. Pour l’organisation Notre Monde n’est Pas à Vendre (OWINFS en anglais)(1), « l’opinion publique est préoccupée par les effets des traités bilatéraux dans les procédures démocratiques de formulation des lois, car les accords commerciaux mènent à une érosion des mesures sociales. En Amérique latine, la préoccupation pour les privatisations et la dérégulation a déjà provoqué des critiques à l’agenda de globalisation néolibérale… ».

L’Argentine interdit l’entrée de dizaines d’associations de la société civile

Ouvrir le pays aux multinationales, mais le fermer à ses opposants ? Première historique, le gouvernement Macri a interdit l’entrée au pays d‘au moins 60 responsables d’associations de développement et de journalistes malgré leur accréditation par l’OMC. Le prétexte ? Ces associations « ont appelé sur les réseaux sociaux à des manifestations de violence afin de générer intimidation et chaos ». Explications très étranges car la plupart de ces associations se rendent aux rencontres de l’OMC depuis plusieurs années sans jamais avoir eu de problème ni avec celle-ci ni avec les pays organisateurs, et n’ont jamais appelé à la violence. La ministre de la Sécurité, Patricia Bullrich, affirme que ce n’est pas son ministère qui a pris cette décision mais les Affaires Étrangères, qui répondent que c’est Sécurité et Services secrets qui ont donné les ordres… Sans explication autre que « le danger sécuritaire », deux personnes furent déportées.

Le Norvégien Peter Titland expulsé

Peter Titland, président de l’ONG Attac-Norvège, un ennemi juré des paradis fiscaux, est expulsé vers le Brésil. Pour Titland, les services secrets argentins ont confondus Attac avec « Attaque » ! « Attac » signifie « Association pour la taxation des transactions financières et pour l’Action citoyenne » (anciennement connue comme taxe Tobin), une organisation internationale créée en France par Bernard Cassen et Ignacio Ramonet, anciens directeurs du Monde Diplomatique (2). Pour Titland, « Le gouvernement argentin prétend que notre page web publie des contenus violents, c’est un mensonge. Mon séjour en Argentine était tout simplement inconvénient pour le gouvernement argentin du point de vue politique ». On se rappelle que le président Macri est cité dans les Panama Papers comme étant le propriétaire de plusieurs comptes secrets dans des paradis fiscaux. Les pressions du gouvernement norvégien ont fait plier l’Argentine qui a autorisé Titland à revenir.

La journaliste Sally Burch expulsée

La britannique Sally Burch est co-directrice de l’agence de presse ALAI (Informations sur l’Amérique latine), dont le siège est à Quito en Équateur (3). Expulsée dès son arrivée à Buenos Aires, elle estime que « la raison pour laquelle ils m’expulsent n’est pas pour ce que j’aurais dit mais parce qu’ils veulent restreindre la participation de voix critiques au mondialisme, une attitude peu démocratique ». Le gouvernement équatorien a déposé une plainte officielle auprès de l’Argentine.

Sur quels critères ?

C’est la question que posent les ONG argentines : sur quels critères se sont basés les services secrets et le ministère de la Sécurité pour prendre leur décision ? Où les services secrets ont-ils été cherché leurs informations ? L’organisation Notre Monde n’est Pas à Vendre rappelle que « nos organisations travaillent pour le développement avec des décennies d’expérience dans le dialogue civil pacifique… Puisqu’il est clair que nos associations ne sont pas un danger pour la sécurité de l’Argentine, leur liste a été construite sur d’autres bases, par exemple nos opinions… ».  Le Comité directeur d’ALAI confirme : « Qu’un gouvernement nie l’entrée dans son pays à des personnes sur base de leurs opinions est grave. Ces faits ne sont pas isolés mais font partie d’une campagne croissante de violence et de répression contre les représentants de la société civile et mouvements populaires dans l’exercice de leur droit légitime à la manifestation publique en Amérique latine ».

La France et la Belgique touchées

Les Français Geneviève Azam, Isabelle Bourboulon et Christophe Aguitton, membres d’Attac France, furent également retenus à l’aéroport. L’intervention de l’ambassade de France a permis de les libérer… L’association Amis de la Terre est également visée (4) ainsi que l’organisation belge CNCD (Centre national de coopération au développement) intégrée par des associations telles que Oxfam, Caritas, Médecins du monde Belgique, etc. Plusieurs organisations de la société civile d’une vingtaine de pays sont aussi visées, toutes qualifiées de terroristes aux yeux des services secrets argentins qui n’ont présenté aucune preuve, aucun texte de violence qu’auraient publié ces associations. L’OMC s’est montrée surprise par les mesures prises par le gouvernement argentin et souhaite gardé ses distances en signalant clairement qu’elle n’y était pour rien et que les ambassades concernées devaient s’adresser au gouvernement.

Jac FORTON

(1)  OWINFS  (2) Attac  (3) ALAI : pour la défense des droits humains et de la démocratie en Amérique latine. (4) Amis de la Terre