Une révolution dans le domaine de la justice argentine : le cercle se referme autour de l’ex-présidente Cristina Kirchner

Alors qu’il y a peu les sociétés des pays les plus développés étaient en majorité inconscientes des nombreux cas de corruption qui rongent la politique et le sport, aujourd’hui, la société argentine constate avec un mélange de résignation et d’espoir, mais sans surprise, les « vices » liés à l’exercice du pouvoir.

Photo : Wikimedia/Casa Rosada

Sans surprise car tout le monde le savait, comme l’ex-ministre péroniste Barrionuevo, qui a dit dans les années 90 : « Si l’on arrêtait de voler pendant deux ans, l’Argentine serait le pays le plus riche du monde ». Tout le monde le savait donc, mais il en manquait les preuves, ou la volonté d’une nouvelle génération de dirigeants épaulés par un peuple rassasié jusqu’au dégoût des mensonges, de l’hypocrisie et des paroles vides sur lesquelles s’est articulée la société argentine depuis très, très longtemps. Beaucoup parlent d’un complot machiavélique orchestré avec la minutie et la précision des méthodes scientifiques ; d’autres, essayant de trouver une explication à l’ambition sans mesure, évoquent le manque d’éducation, la perversité ou la frustration intime – là où les sentiments et les désirs restent inassouvis – dans la vie personnelle des leaders politiques responsables de relever les vrais défis du présent afin de forger un avenir digne pour les futures générations.

Personne ne reste libre de tout soupçon dans le panorama politique argentin. Même l’actuel président, Mauricio Macri, porte sur ses épaules certaines accusations pour son rôle de « médiateur » auprès de la justice en ce qui concerne notamment les activités de son père, Franco Macri, le puissant entrepreneur qui a négocié avec les gouvernements successifs et a laissé une dette colossale à l’État après avoir été à la tête du service postale argentin ; sans oublier que son nom est également apparu dans une obscure société lors de l’affaire des Panama Papers. Mais, comme l’a montré son triomphe lors des élections législatives d’octobre dernier, une grande majorité des Argentins semble disposée à pardonner les affaires de cette famille fondée par un immigré italien qui jouit aujourd’hui d’une certaine admiration pour avoir réussi dans les affaires. C’est l’héritage reçu par l’actuel président argentin, nimbé d’une image de père de famille exemplaire, marié en secondes noces avec une très ravissante femme entrepreneuse du secteur textile, que le magazine Vogue a qualifié de version moderne de Jackie Kennedy : « intelligente, élégante, et avec du style dans la politique ».

Bien que l’opposition au projet de Cambiemos, le parti du président, et à son plan de rénovation de l’économie argentine, fasse du bruit, surtout dans la rue au travers des manifestations presque quotidiennes et des bras de fer des « piqueteros », soupçonnés d’être payés par l’opposition, et spécialisés dans le blocage de la circulation (circuler dans Buenos Aires met à l’épreuve le système nerveux même d’un singe paresseux), Macri compte avec une équipe gouvernementale jeune, décidée, décomplexée ; bref : bien dans sa peau. C’est une image solide, monolithique, on pourrait dire avant-gardiste ; du jamais vu dans la politique argentine. Ce sont des gens issus de différents milieux professionnels, en apparence tous motivés par le même objectif : faire un travail propre et efficace, ayant appris la leçon des erreurs commises dans le passé par les administrations qui se sont succédées et qui ont raté le rendez-vous avec le succès, avec la stabilité économique et sociale que le peuple attend, et enfin, après avoir connu les affres – dont les trente mille disparus – de la dictature militaire (1976-1983), les balbutiements de la jeune démocratie avec Raul Alfonsin, le n’importe quoi clownesque de l’ère ménémiste, et les douze années du populisme kirchneriste d’extraction péroniste, lequel a certainement facilité la vie des plus démunis, par exemple avec la création d’une assurance chômage ou en offrant la retraite à ceux qui n’ont jamais apporté, ainsi que des aumônes déguisés en subventions (voire des cuillères de purée dans la bouche du peuple en leur faisant miroiter un brillant avenir) mais pour monter par dessous la table un réseau de corruption dont les proportions commencent à sortir à la lumière.

C’est sur ce terrain de jeu politique-judiciaire, vécu par beaucoup d’Argentins comme un moment charnière dans histoire de leur pays, que la députée du GEN, Margarita Stolbizer, a annoncée le 14 novembre dernier qu’elle demandera « à la Justice le retrait d’immunité » de l’ex-présidente, récemment élue sénatrice, Cristina Fernandez de Kirchner. « Le grand problème est que le Sénat assume son rôle de gardien de tous les délinquants qu’il accueille, dont Carlos Menem, et il est prêt à faire de même avec madame Kirchner ». Pour leur part, les sénateurs de l’opposition déclarèrent qu’ils ne voteraient pas pour le retrait de l’immunité sans une condamnation ferme de l’ex-présidente. Rappelons que Cristina Kirchner a été mise en examen pour blanchiment d’argent, pour présomption de dissimulation dans le cas de l’attentat à l’AMIA et du marché d’échange de monnaie étrangère. Mais si cette demande de retrait d’immunité suscite autant de controverses, c’est parce qu’il existe un point de rupture dans la jurisprudence qui, certainement, fait trembler l’entourage de l’ex- présidente : le cas Julio De Vido.

Julio De Vido (26/12/1949), l’architecte, ministre de la Planification Fédérale, de l’Investissement Public et des Services sous les présidences de Nestor Kirchner (2003-2007) et de Cristina Fernandez de Kirchner (2007-2015), a été l’un des plus anciens, et sans doute le plus important, des collaborateurs de Nestor et de Cristina Kirchner. De Vido négociait, entre autres, avec le gouvernement d’Hugo Chavez, notamment avec Rafael Ramirez, l’ex-président de Petroleos au Venezuela. En 2015, il fut élu député national dans la province de Buenos Aires et, en 2016, président de la Commission de l’Énergie. En tant que député, De Vido jouissait de l’immunité parlementaire, mais il vient d’être démis de ses fonctions par 176 voix pour, aucune contre et une abstention : il a été imputé en 21 causes menées par le Bureau Anticorruption. La justice a demandé sa détention pour détournement de fonds destinés à la reconstruction d’un train en Santa Cruz (province d’origine des Kirchners), lequel n’a jamais été réalisé. Aussi, il est poursuivi pour divers cas d’évasion fiscale, payements illicites et achat illégal de ferraille ferroviaire, ainsi que pour fraude administrative à l’origine de la tragédie de Once, le quartier de Buenos Aires où, le 22 février 2012, une collision de trains a fait 52 morts et des centaines de blessés.

Julio De Vido, qui s’est rendu aux autorités dans le siège des tribunaux fédéraux de Buenos Aires, est le dernier, pour le moment, d’une dizaine des hauts fonctionnaires du kirchnerisme inculpés et incarcérés, parmi lesquels on peut entre autres citer : Roberto Baratta, sous-secrétaire de la Coordination et du Contrôle de  la Gestion du Ministère de la Planification des gouvernements kirchneristes ; José Lopez, ingénieur civil, Secrétaire d’Œuvres Publiques du gouvernement de Nestor Kirchner et ultérieurement de Cristina Kirchner, Omar « Cheval » Suarez, le syndicaliste « favori » de Cristina Kirchner ; Ricardo Jaime, ingénieur arpenteur qui a exercé des fonctions publiques dans les provinces de Cordoba et Santa Cruz avant d’être nommé secrétaire de Transport de la Nation Argentine pendant les gouvernements de Nestor et Cristina Kirchner ; Amado Boudou, vice-président de Cristina Kirchner, ou encore Lazaro Baez.

Eduardo UGOLINI
Depuis Buenos Aires

À suivre : De nouveaux cas de corruption liés au gouvernement kircheneriste et dans l’Association du Football Argentin. La réouverture du cas Nisman. L’avenir du Péronisme, colonne vertébrale du mouvement ouvrier argentin.