L’Année partagée France-Colombie 2017… en pointillé sur le sentier de la paix

Octobre 2017, Grenoble a vécu un mois à la colombienne. La France souffle les dernières bougies d’une année dédiée à la Colombie, pays officiellement sur le sentier de la paix depuis septembre 2016. Beaucoup de manifestations, de rendez-vous colombiens jalonnent les derniers mois de 2017. Grenoble, Biarritz, Paris, Montreuil, ici et là, cinéma, théâtre, chanson, solidarité associative, administrations nationales et locales ont tous azimuts couvert le « pré carré » français en initiatives Colombie.

Photo : l’écrivain Hector Abad Faciolince – (Jordi Socias)

Le choix n’était pas fortuit. Il avait l’ambition d’accompagner un accord de paix mettant fin à plus de 50 ans d’affrontements avec la guérilla des FARC signé le 26 septembre 2016 à Carthagène des Indes. « Guerre et paix », de la guerre à la paix. La paix changeait la donne, et renversait les images. Elle ouvrait les opportunités d’échanges, de partenariats. Elle donnait à voir, et à entendre, la Colombie festive et inventive jusqu’ici occultée par le bruit des conflits. Exit Marulanda, exit Uribe, bienvenue à García Márquez, et Carlos Vives. Les FARC, ont bel et bien remis leurs armes le 19 juin 2017. 7132, une plus ou moins par combattant démobilisé. Elles ont troqué le 1er septembre 2017 le fusil pour le bulletin de vote. Gardant le sigle, – FARC -, mais changeant d’appellation contrôlée, FARC désormais a pris un autre sens, – Force Alternative Révolutionnaire du Commun.

Les Françaises et les Français c’est vrai tout au long de cette année colombienne ont eu bien des sonorités, des voix, des images à découvrir. Le choc de la diversité a bel et bien été au rendez-vous. Le débarquement du Cholo Valderrama, de Jesus Maria Strapper, a heureusement cassé aux quatre coins de France les stéréotypes véhiculés par la « culture » médiatique de masse. Le Pape François a béni le chemin de la paix les 6-10 septembre 2017. Ces manifestations ont, un peu, permis de compenser les lieux communs complaisamment véhiculés par les acteurs « latins » stéréotypés et calibrés par Hollywood dans la saison 3 du feuilleton Narcos, intitulé  « les caballeros de Cali ».

Problème, dés le 2 octobre 2016 la paix a hoqueté. Les Colombiens consultés par référendum ont dit « Non » aux accords de paix. Repêchés par le parlement, ils peinent à convaincre électeurs urbains, et les candidats aux présidentielles de 2018. En fin de mandat le chef de l’État, Juan Manuel Santos, perd chaque jour un peu de son autorité. Il ne peut pas se représenter. La Constitution le lui interdit. Le parti de la « U », sa formation est en voie de désagrégation. Son ex-vice-président, German Vargas Lleras, est bien candidat. Mais il est très discret dans sa campagne sur les accords de Carthagène. Tandis que les proches de l’ex-président Alvaro Uribe contestent vivement le bien fondé d’accords signés d’égal à égal avec ceux qui pour eux sont des « narco-terroristes ».

Comme un souci ne va jamais seul, le désarmement des FARC fait le bonheur de groupes concurrents. Sans doute avait-on un peu vite oublié que la paix avec les FARC ne concernait que l’un des acteurs des violences. Il y en a beaucoup d’autres. Ils remplissent peu à peu le vide territorial laissé par le départ des FARC. L’un d’entre eux est officiellement politique, le ELN. Le ELN a décrété un cessez le feu du 30 septembre 2017 au 9 janvier 2018, pour accompagner un dialogue bien tardif, avec un gouvernement colombien en fin de parcours, à Quito, en Équateur. Quelques heures avant ce cessez le feu le ELN a fait sauter l’oléoduc Cano Limon-Covenas qui a répandu son pétrole dans les cours d’eau avoisinants, Catatumba et Cubugon. La majorité des autres groupes, baptisés par commodité « bacrims » ou bandes criminelles, relève de la délinquance, petite ou organisée. Le clan du Golfe est la plus connue. On peut également citer les Autodéfenses gaitanistas. À leur tableau de chasse l’assassinat de plusieurs ex-guérilleros des FARC démobilisés, et celui d’environ 190 cadres associatifs et syndicaux.

Cette réalité n’a pas échappée à tous ceux qui ont organisé des moments de rencontre et débats. Les ambassades de France et d’Allemagne décernent un prix des droits de l’homme, portant le nom de celui qui le premier en Amérique latine a traduit la déclaration des droits de l’homme de 1789, le colombien Antonio Nariño. Les lauréats 2017, issus du Foro Interétnico Solidaridad Choco, venus du Pacifique colombien invités à visiter les deux pays ont pu exposer leur vécu difficile, entre menaces, assassinats et expulsions et leur espoir d’une dynamique de paix globale.  Propos confirmés par les invités du Forum des ONG colombiennes et françaises de Grenoble, les 17-19 octobre 2017.

Hector Abad Faciolince, romancier colombien, a perdu son père, assassiné par des paramilitaires le 25 août 1987. Victime du conflit, il a a peut-être tiré la moralité de cette fable sur le fil de l’histoire. « 2016 aura été une année bizarre avec le Brexit, la victoire du Non en Colombie et celle de Trump [aux États-Unis]. Beaucoup de gens sont experts en polarisations. […] Ils disaient que les FARC n’allaient pas tenir parole. […] Elles ont remis leurs armes. Ce sont des gens peu recommandables. Mais ils ont tenu parole. La suite va être difficile. Ils sont peu appréciés. Mais à la clef il y a une chute des taux d’homicides »[1].

Jean-Jacques KOURLIANDSKY

[1] Hector Abad Faciolince, El olvido que seremos, Barcelone, Seix Barral, 2010 (livre de poche)/L’oubli que nous serons, Paris, Gallimard, 2012.