Mort du célèbre peintre Fernando de Szyszlo, précurseur de l’art abstrait péruvien

Le peintre péruvien Fernando de Szyszlo Valdelomar est décédé le 9 octobre dernier, à 92 ans, au côté de sa femme Liliana Yábar, d’une chute dans les escaliers de leur maison de Lima. Peintre et critique d’art péruvien, Fernando de Szyszlo est un artiste connu pour son utilisation de l’imagerie pré-colombienne dans des peintures en terre rouge. Son art tente de réinventer des thèmes surréalistes dans un contexte latino-américain, davantage préoccupé par des sentiments liés au mysticisme indigène que par une vanité artistique. Suivi d’une interview à la revue « Somos ».

Photo : El Comercio

« Ce qu’il me reste à vivre ne sera plus pareil sans Godi, le meilleur des amis. Il fut un grand artiste, un des derniers, parmi les peintres, auquel on pouvait appliquer cet adjectif avec justesse, et une personne splendide. (…) Depuis sa découverte de l’art figuratif, il s’était livré à lui, avec discipline, persévérance et tenacité, redécouvrant peu à peu, avec le passage des années, la réalité à travers de son pays. L’art des anciens Péruviens deviendra avec le temps une obsession et s’insinuera peu à peu dans ses tableaux, se confondant avec les formes et les couleurs les plus osées de l’avant-garde. Jusqu’à constituer ce monde propre duquel rendent compte ces mystérieuses chambres solitaires et géométriques, qui ont quelque chose d’un temple et quelque chose d’une sale de torture, les étranges arabesques et totems qui les habitent et qui, de leurs grains, nœuds, incisions, fissures et croissants, suggèrent un monde barbare, antérieur à la raison, fait seulement d’instinct, de magie et de peur. (…) Maintenant qu’il n’est plus là, il nous reste sa peinture. Je suis sûr qu’elle durera au-delà de sa génération, de la mienne, et de beaucoup d’autres. Le monde autour de moi peu à peu s’effondre et se fait de plus en plus vide. »

Dans une colonne du El País daté du 15 octobre 2017, La muerte del amigo, Mario Vargas Llosa rend ainsi hommage à son grand ami Fernando de Szyszlo, célèbre peintre péruvien décédé le 9 octobre 2017 d’un accident domestique aux côtés de son épouse Liliana Yábar. Né à Lima le 5 juillet 1925 d’un père polonais et d’une mère péruvienne, Fernando de Szyszlo est considéré comme l’un des grands représentants de l’art abstrait péruvien, un précurseur et un modèle pour ses contemporains. Pétri de littérature, de poésie et de cinéma, l’art de Fernando de Szyszlo est un art total, qui porte l’empreinte des peuples indigènes péruviens et de la culture archaïque du Pérou. Une influence qui lui vient de son enfance, passée au sud de Lima, une zone de déserts, de ruines de cimetières Paracas et de paysages précolombiens. De Szcyszlo écrivit dans ses mémoires[1] : « J’ai toujours pensé que l’identité était définitivement marquée par l’endroit où nous avions grandi. Nous sommes les enfants de notre enfance« . Ses œuvres, sans pour autant se contenter de recréer le passé, personnel et péruvien de De Szyszlo, projettent dans une approche plus moderne la peinture influencée par le courant culturel indigéniste qui prédominait encore dans les écoles d’art de l’époque. En élargissant les champs possibles des thématiques péruviennes à travers un style non représentatif. Fernando de Szyszlo est devenu un des peintres majeurs de la renaissance artistique de son pays et est considéré comme le précurseur de l’art abstrait péruvien.

Extraits

La peinture de Fernando de Szyszlo est également en étroite relation avec ses opinions et son engagement politique. Fervent défenseur de la liberté, viscéralement opposé aux totalitarismes, – fondateur du Movimiento Libertad en 1987 aux côtés de son ami Mario Vargas Llosa –, De Szyszlo fut toujours un artiste engagé et qui prenait à cœur les problèmes sociaux de son temps et de son pays. C’est l’essence même du Pérou qu’il peindra dans ses tableaux modernes aux traits puissants, qui transmettent l’amour, la haine, la peur, l’espoir, la vie, l’agonie et qui en feront l’artiste moderne le plus emblématique du Pérou. Le quotidien El Peruano résume le lien très fort qui unissait l’artiste à son pays, en titrant ainsi l’article qui rend hommage à Fernando de Szyszlo : De Szyszlo es el Perú.

Rendre hommage à ce grand peintre, inspiré, comme il le disait souvent, de la peinture du XXe siècle de Picasso ou de Matisse, qui furent selon lui, « les premiers à découvrir l’intérêt de l’art précolombien et à le rapprocher de l’art primitif« , c’est aussi rendre hommage à une forme d’art particulière, impliquée, que Fernando de Szyszlo défendait contre la banalisation de l’art et de la vie en général, contre la désacralisation du monde. Le 15 mai 2017, Fernando de Szyszlo accordait une entrevue à la revue BOCAS et expliquait : « Dans mes mémoires, je raconte que j’ai inventé, ou tenté de résumer en une phrase ce qu’est la peinture, et je disais alors que la peinture, c’est la rencontre visible du sacré avec la matière. Mais j’ajoutais que, malheureusement, ce n’était pas suffisamment précis, car la rencontre du sacré avec la matière décrit également l’être aimé. Et c’est là que tout réside. Cette chose ineffable et en même temps très dense et très profonde que sont l’art et l’amour. » De belles paroles qui, plus que jamais font sens, dans une société qui a du mal à croire en elle-même et en son avenir. Par l’art, par l’amour et pour Fernando de Szyszlo, il ne tient qu’à nous de remettre un peu de sacré dans le monde.

Léa JAILLARD

Lire l’interview à « Somos » ici.  La vida sin dueño, Alfaguara, 2017.