Quarante ans de foulards blancs des Mères de la place de Mai à la recherche des 30 000 disparus pendant la dictature

Le 21 septembre, les Mères de la place de Mai ont célébré les 40 ans de leur première marche exigeant l’apparition en vie de leurs enfants enlevés par la dictature militaire et dont le sort n’a jamais été connu : ce sont les milliers de disparus de l’Argentine. Le 7 octobre, les Madres ont commémoré les 40 ans de la première utilisation du foulard blanc en pleine dictature ; un foulard qui allait devenir le symbole de leur lutte pour retrouver leurs disparus.

La répression politique de la dictature argentine (1976-1983) était implacable. Les organisations de défense des droits humains estiment à 30 000 le nombre de personnes disparues. On sait maintenant qu’elles ont toutes été torturées puis assassinées et enterrées dans des fosses communes dont on ignore encore les emplacements, ou jetées à la mer, dans le Río de la Plata ou l’océan Atlantique.

« ¿Donde están? » – « Où sont-ils ? »

Le 3 avril 1977, 14 mères de disparus décident de demander une audience au dictateur Rafael Videla, lequel refuse évidemment. Les mères commencent à marcher devant le palais présidentiel sur la Plaza de Mayo pour l’obliger à les recevoir. Il refuse toujours. Alors les mères commencent à tourner autour de l’obélisque de la place tous les jeudis à 15 h 30. Elles s’organisent et fondent l’association « Madres de la Plaza de Mayo« . Le dictateur les appelle « Les Folles ». Et les réprime.

Le traître et assassin Astiz

Un jeune homme bien mis, déclarant s’appeler Gustavo Niño et frère d’un disparu, se met à la disposition des Mères pour les aider. Mais Gustavo est un lieutenant de marine, de son vrai nom Alfredo Astiz, infiltré dans l’association. Le 10 décembre, il monte un raid contre les Mères et enlève douze personnes dont les trois principales responsables, Azucena Villaflor, Esther Ballestrino et Mary Ponce, et deux religieuses françaises, Alice Domon et Léonie Duquet. Toutes disparaissent. On retrouvera le corps de Léonie sur une plage : elle avait été jetée dans l’océan depuis un avion (1)…

Naissance du foulard blanc

Le pañuelo blanco fut une idée de Azucena Villaflor. Le 7 octobre 1977, les Mères décident de participer au pèlerinage annuel de la basilique de la ville de Luján, près de Buenos Aires. Pour se distinguer des pèlerins, Azucena propose que les mères portent un lange blanc de toile sur la tête pour attirer l’attention et se faire connaître. Le lange deviendra vite un foulard maintenant connu mondialement comme un symbole de résistance à la dictature. Bientôt se créent aussi les associations « Mères de la place de Mai ligne fondatrice » et « Grands-mères de la place de Mai » qui recherche les bébés volés par la dictature.

Une répression féroce

À l’occasion de la commémoration de ce 7 octobre 2017, la présidente de l’association rappelle les nombreuses tentatives pour casser l’association en réprimant ses membres. Vols, destructions de domiciles, coups et violences pleuvent sur les Mères. Les militaires sont allés jusqu’à torturer la fille de l’une d’entre elles. Mais « abandonner la lutte, c’est abandonner nos enfants… Nous n’arrêterons jamais de lutter pour savoir ce qu’ils sont devenus ». Une autre Mère reprend un des slogans de sa fille militante disparue : « Donner n’est pas donner ce que tu as en trop ; c’est partager ce que tu as ! » Et d’ajouter : « Comment ne pas lutter pour des gens qui possèdent ces sentiments ? »

2060 rondes

Ce 7 octobre dernier, comme tous les jeudis depuis 40 ans, les Mères ont réalisé leur ronde de l’obélisque. C’était la ronde numéro 2060… Face au palais présidentiel, Hebe de Bonafini, présidente de l’une des trois associations, rappelle que « les présidents Néstor et Cristina Kirchner [les] ont beaucoup aidées… Par contre, le gouvernement Macri [les] traite de revanchardes et de femmes odieuses ». De leur côté, les militaires continuent à respecter l’omerta. Non seulement ils refusent de dire où sont les disparus, mais ils revendiquent leurs actions de terrorisme d’État.

Le jugement d’Astiz

En prison pour crimes contre l’humanité commis pendant la dictature, Alfredo Astiz, surnommé l’Ange blond de la mort, est aujourd’hui jugé pour des crimes commis dans le centre de torture ESMA. Il vient d’affirmer que la disparition de Santiago Maldonado au cours d’un raid de la gendarmerie contre les Indiens mapuches en Patagonie n’est que « la continuation de la lutte contre le terrorisme » que les militaires avaient commencée en 1976. « Il s’agit de la même guerre dans le temps contre la subversion ». Car pour lui, « les Mapuches sont un danger pour la nation ». Donc, les disparitions sont simplement le résultat de la guerre contre le terrorisme. Et ainsi justifiées…

Une place à Paris

Dans le XVe arrondissement de Paris, un parc a été baptisé « Jardin des Mères-et-Grands-mères-de-la-Place-de-Mai ». On y accède par la rue Balard, le quai André-Citroën ou le rond-point du Pont-Mirabeau (métro et RER Javel). Il fut inauguré le 7 avril 2008 en présence des Mères Estela Carlotto et Marta Vásquez, de la présidente argentine Cristina Kirchner, du maire de Paris Bertrand Delanoë et du maire du XVe, Philippe Goujon. Pour ne pas oublier… Peut-on vraiment parler de réconciliation avec des gens comme Astiz ? Tant que l’on ne saura pas ce que sont devenus les milliers de disparus, la lutte pour la vérité et la justice est la seule qui importe. Pour ces trois associations… Respect !

Jac FORTON

(1)  Pour ces assassinats, Alfredo Astiz a été jugé en absence en France et condamné à la perpétuité en 1990. En 2011, pour crimes contre l’humanité, il a été condamné à la perpétuité en Argentine. En 2005, la mairie de Paris a attribué le nom d’une rue aux deux religieuses, dans le XIIIe près de Bercy.