Perspectives politiques de la République dominicaine, une place à part parmi les pays des Amériques

La République dominicaine occupe une place à part parmi les pays des Amériques, de par sa position géographique et son histoire mouvementée. Située au cœur de l’archipel caraïbe, elle n’en est pas moins rattachée culturellement à l’ensemble latino-américain avec lequel elle partage nombre de traits, en particulier la langue espagnole. Mais ses liens avec les États-Unis et l’île voisine de Porto Rico sont également très forts.

Deux républiques dans le même espace insulaire

La République dominicaine partage son espace insulaire avec un autre État, la République d’Haïti, qui occupe la partie occidentale de l’île (1). La division de l’île entre deux États, séparés par une frontière de 320 km, constitue une singularité géopolitique et s’explique par l’existence de deux communautés nationales distinctes, l’une issue de la colonisation espagnole, la colonie de Santo Domingo, et l’autre de la colonisation française, la colonie de Saint-Domingue à l’ouest.

La République dominicaine a la chance d’avoir « hérité » de la partie la plus vaste (48 670 km2) et la plus fertile de l’île, avec des plaines aux sols profonds et bien arrosées par les vents alizés. À l’ouest, Haïti est moins bien dotée (27 750 km2), avec des plaines plus étroites. À noter que l’ensemble de l’île est très montagneux. Par contre, les deux versants de l’île sont tout aussi exposés aux risques naturels, aux tempêtes tropicales et aux ouragans qui frappent les côtes et l’intérieur. Le risque sismique est particulièrement grave. Les tremblements de terre ont touché historiquement des régions vastes et peuplées, comme l’ont montré les séismes de Port-au-Prince (en 1751, en 1770 et le tragique tremblement de 2010) et, côté dominicain, les séismes qui ont détruit les fondations coloniales de La Vega (1562) et de Santiago de los Caballeros (1842). On n’ose pas imaginer le prochain grand séisme destructeur.

Les racines historiques de la nation dominicaine

La formation historique de la nation dominicaine sur un laps de cinq siècles montre des ruptures, à la fois pendant la période coloniale et pendant la période nationale. La conquête espagnole à partir de 1492 aboutit à l’extinction rapide des cultures indigènes Arawak et Taïno. Les Espagnols font place nette pour christianiser et coloniser le territoire bientôt dépeuplé. Ils introduisent les premiers esclaves africains pour établir des plantations et édifient un palais et une cathédrale à Santo Domingo, la première fondation urbaine des Européens dans les Amériques. Cependant, l’Audience de Santo Domingo est rapidement négligée au profit des nouvelles conquêtes de Cuba, du Mexique et du Pérou. Les Espagnols ne restitueront jamais le prestige perdu à leur colonie désertée et fréquemment attaquée par les pirates et les flibustiers.

L’indépendance contre trois ennemis

L’indépendance de la République dominicaine a été acquise et gagnée par la force des armes contre trois maîtres, une spécificité dans les Amériques. Contre les Espagnols d’abord, qui étaient surtout avides d’or et d’argent, des minéraux précieux peu présents dans la colonie (2). Les Espagnols, qui avaient laissé leur colonie à l’abandon pendant longtemps, tentèrent tardivement de la reconquérir, obligeant les Dominicains à mener une guerre sanglante de Restauration de la République (1861-1865) pour les chasser définitivement. Contre les Français également qui, pendant les guerres de la Révolution, avaient obtenu le contrôle sur la totalité de l’île par le traité de Bâle (1795). Les Français demeurèrent quelques années dans la partie orientale après leur défaite contre les Haïtiens. Mais ils sont défaits à nouveau sur le champ de bataille de Palo Hincado par une coalition hispano-dominicaine et quittèrent le territoire. Contre les Haïtiens enfin qui, maîtres de leur destin après leur indépendance en 1804, avaient jugé bon d’occuper la totalité de l’île pour des raisons stratégiques et fiscales. À leur tour, les Haïtiens sont chassés de la place de Santo Domingo par un soulèvement de patriotes dominicains le 27 février 1844. Par la suite, Haïti tentera à plusieurs reprises de récupérer les territoires perdus mais, chaque fois, ils sont sévèrement battus.

Des couleurs symboliques

Les symboles patriotiques de la République nous fournissent des indications précieuses sur les éléments d’identité et les références historiques de la nation. Les couleurs du drapeau sont le bleu, le blanc et le rouge disposés en cartel autour d’une croix blanche. On retrouve ici les couleurs de l’étendard de la Révolution française (3), et la devise « Dios, Patria y Libertad » révèle à la fois l’influence chrétienne et les principes de la franc-maçonnerie. Les idéaux d’émancipation et de construction nationale sont clairement marqués dans cette symbolique.

Les occupations du pays et la perte de repères

La jeune nation, fière mais encore peu peuplée, est si fragile dans la deuxième moitié du XIXe siècle, que ses dirigeants veulent la livrer à plusieurs reprises à des puissances étrangères, à la France, à l’Espagne, aux États-Unis… Le pays est secoué par des troubles politiques incessants, des soulèvements, des assassinats politiques. À l’orée du nouveau siècle, les présidents états-uniens Théodore Roosevelt et Woodrow Wilson n’hésitent pas à appliquer une politique de force en intervenant économiquement et militairement, comme ils le font ailleurs dans la Caraïbe. La République dominicaine est occupée une première fois de 1916 à 1924, ce qui entraîne un véritable traumatisme national. Des guérillas rurales combattent l’occupant tandis que des intellectuels font appel à la solidarité latino-américaine. Une deuxième occupation suivra en 1965-1966 à l’époque de la guerre froide. Les bouleversements du siècle, accentués par l’effet délétère de la dictature féroce de Trujillo, qui dure plus de trente ans, ont altéré profondément l’identité du pays.

Entre émigrations et immigrations

Les Dominicains, poussés par des conditions de vie difficiles, ont commencé à émigrer en masse vers les États-Unis et à Porto Rico dans le courant du siècle. Par ailleurs, de vastes flux d’immigration modifient le peuplement du pays. Les autorités recrutent des travailleurs antillais des colonies anglaises et des Haïtiens pour la coupe saisonnière de la canne à sucre, beaucoup restent au pays. Des apports d’immigration proviennent également du Levant (Syrio-Palestiniens), d’Europe (Espagnols, Corses et Français, Italiens), de Chine et plus récemment de la Caraïbe et d’Amérique du Sud (Cubains, Vénézuéliens et Argentins). La tentation de la xénophobie qui se manifeste en particulier par un anti-haïtianisme virulent et par le repli sur le nationalisme, est grande, surtout dans les périodes de difficultés économiques. Par ailleurs, le pays se transforme sous l’effet de l’américanisation et commence à rejeter sa culture populaire, sa cuisine, sa musique, ses lettres. On veut faire croire que le pays a atteint la prospérité et que désormais il faut vivre à l’heure de Miami, conduire des voitures de luxe et dépenser des fortunes dans les fêtes et les voyages… En réalité, les inégalités sociales restent profondes et la pauvreté bien présente.

De nouvelles responsabilités

Le pays se voit attribuer de nouvelles responsabilités au sein de la région Amérique latine – Caraïbes. Il était pauvre de façon immémoriale. Mais il est vrai qu’aujourd’hui, la République dominicaine possède l’économie la plus forte de la Caraïbe insulaire car elle a dépassé l’économie cubaine étatisée et fragilisée par l’embargo nord-américain, et l’économie portoricaine en crise et très endettée. La croissance élevée – au-delà de 6 % sur une décennie – favorisée par l’essor du tourisme, l’exportation de produits agroalimentaires et le développement des services logistiques et commerciaux, offre au pays de nouvelles perspectives et lui donne de nouvelles responsabilités.

Dans le cadre des arrangements régionaux, la République dominicaine fait partie du Système d’intégration centre-américain (SICA) dont le siège est à San Salvador (El Salvador). Cette situation curieuse s’explique par son long isolement diplomatique dans  la région caraïbe et par ses relations tendues avec son voisin haïtien mais n’est peut-être pas la plus rationnelle. Des liens plus forts avec les pays voisins des Petites Antilles et des Grandes Antilles, avec les grands pays d’Amérique du Sud, paraissent souhaitables. Ainsi la République dominicaine pourra jouer un rôle international mais à condition d’affirmer ses valeurs, de respecter scrupuleusement les droits de l’homme, de réprimer la corruption endémique qui a beaucoup nui à l’image du pays. Alors le « petit pays insulaire » cessera d’être un pion sur le grand échiquier latino-américain et pourra sortir des pièges de la dépendance et du sous-développement.

Christian GIRAULT
CNRS Paris

(1) Le nom de l’île révèle les lignes de fracture dans l’Histoire et les tensions contemporaines. Appelée Ayti ou Kiskeya à l’époque précolombienne, elle fut baptisée « Española » (l’île Espagnole) par Colomb. Puis les cartographes adoptèrent le nom de Hispaniola. Au moment de donner un nom à leur territoire libéré, les chefs insurgés de la colonie française de Saint-Domingue choisirent spontanément le nom de Haïti pour marquer le retour aux origines. Quant aux Dominicains, ils l’appellent Santo Domingo.
(2) L’ironie de l’histoire des Caraïbes est que l’or que les Espagnols avaient recherché avec frénésie à l’époque coloniale et pour l’exploitation duquel ils avaient décimé les populations autochtones, a été trouvé cinq siècles plus tard et est exploité au début du XXIe siècle par la firme Barrick Gold dans la grande mine de Pueblo Viejo près de Cotui.   
(3) À noter que l’on retrouve également le bleu et le rouge dans le drapeau haïtien.
 Pour en savoir plus : Panorama sociocultural de la República Dominicana, de José Alacántara Almanzar, 2e édition, 2014, Santo Domingo. Temps d’élections en République dominicaine, Espaces Latinos n° 270, mai-juin 2012, p. 17-20.  La République dominicaine, par Christian Rudel, Karthala, collection Méridiens 2e édition, Paris, 2001.