Au Guatemala, encore une victoire du peuple contre la corruption de la classe politique

Indignation populaire : non seulement le président de la République du Guatemala, Jimmy Morales, qui avait été élu sur un programme de lutte contre la corruption, doit faire face à des accusations de… corruption ainsi que son fils et son frère, mais le Congrès de la nation, vote des lois qui protègent les privilèges des députés. Les réactions citoyennes les obligent à faire marche arrière.

Se débarrasser des accusateurs

Le Ministère public (MP) et la justice guatémaltèques sont, depuis 2007, soutenus et conseillés par la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG) sous les auspices des Nations unies. Son rôle : assister la justice à désarticuler le crime organisé et les appareils clandestins qui souvent sont dirigés et organisés aux plus hauts niveaux de l’État. La CICIG a réussi à former de nouvelles générations de juges intègres qui n’ont pas peur d’affronter les hauts niveaux de corruption qui pourrissent l’État depuis des générations. De nombreux fonctionnaires, ministres ou hommes d’affaires mafieux sont ainsi démasqués et jugés. On comprend que les corrompus de l’élite guatémaltèque détestent la CICIG.

Morales accusé de financement illégal

Fin août dernier, Thelma Aldana, présidente du MP, et Iván Velásquez, directeur de la CICIG, présentent devant la Cour suprême de justice (CS) un acte d’accusation contre le président Jimmy Morales pour financement illégal pendant la campagne électorale de 2015, alors qu’il était secrétaire-général du parti FCN (Front de convergence Nation) qui l’avait mené à la présidence. Il réagit brutalement : le 27 août dernier, il signe un décret qui décide de l’expulsion du Guatemala du directeur de la CICIG, le Colombien Iván Velásquez. Suite au tollé général provoqué au Guatemala, à l’étranger (1) et aux Nations unies, le dossier passe à la Cour Constitutionnelle qui annule le décret : Velásquez peut rester à la tête de la CICIG. Acte suivant, la Cour Suprême accorde la constitution d’une Commission d’enquête parlementaire qui doit décider si oui ou non le Congrès doit voter la continuité ou l’annulation de l’immunité présidentielle. Une annulation de l’immunité ouvrirait la voie à une procédure judiciaire. Début septembre, cette commission recommande au Congrès de retirer l’immunité du président. Ses arguments : le refus du FCN de rendre compte au Tribunal électoral, comme l’exige la loi, des contributions financières reçues par le parti ; elles n’apparaissent même pas dans ses livres comptables, alors que Jimmy Morales en était le secrétaire-général.

La corruption gagne le vote

Une cinquantaine d’organisations de la société civile réunie dans l’Alliance pour les Réformes rappelle alors aux députés que « les citoyens sont lassés par la corruption, les négociations à portes fermées et l’inefficacité des institutions… C’est le moment pour les députés de montrer leur engagement envers la justice et leur respect des droits humains » (2).  Si les organisations sociales et politiques approuvent l’ouverture d’une enquête contre la corruption, ce n’est pas du tout le cas des députés ! En effet, les partis politiques au Guatemala ressemblent plus à l’entreprise d’un seul homme pour se faire élire et jouir des privilèges des élites qu’à de véritables positions politiques. Plusieurs ex-secrétaires généraux se sentent visés ; et s’ils tombent, ils entraînent nombres « d’honorables » avec eux. Aussi, les congressistes se serrent les coudes autour de leurs privilèges : sur les 158 députés, 104 votent contre le retrait de l’immunité, à peine 25 pour…

Indignation et colère de la population

Non seulement le Congrès sauve le président mais il sauve aussi les … congressistes ! 107 de ceux-ci votent vite un décret de modification du Code pénal qui permet que « les secrétaires généraux des partis politiques ne puissent plus être jugés pour financements illégaux », une véritable amnistie déguisée. « Tous les mêmes », « Non aux pactes d’impunité »… Des centaines de personnes se rassemblent devant le Congrès et bloquent la sortie de 130 congressistes pendant 18 heures. Il faut une intervention musclée de la police pour ouvrir un chemin à des bus pour « libérer » les députés.

Les députés font marche arrière

Le 14 septembre, des milliers de personnes se rassemblent devant le palais présidentiel. C’est la première grande manifestation de colère publique depuis 2015 quand des dizaines de milliers de personnes avaient exigé et obtenu la destitution du président Otto Molina et de sa vice-présidente Roxana Baldetti, pour corruption. De son côté, Transparency International annonce qu’elle demandera la suspension du Congrès guatémaltèque devant le Parlement latino-américain (Parlatino) et l’Union interparlementaire. Du coup, les députés font marche arrière et annoncent l’annulation du décret.

Le Ministère public, la CICIG, les organisations civiles et les citoyens continuent à lutter contre la corruption. Les citoyens appellent à une manifestation massive et une grève générale ce mercredi 20 septembre, qui exigent la démission du président et des 107 députés qui ont voté les décrets.

Jac FORTON

(1) En France, voir le communiqué commun du 12 septembre 2017 signé par le Collectif Guatemala, France Amérique latine, Collectif Solidarité Guatemala de Toulouse et Terre des Hommes France.  (2) Un communiqué publié par l’agence de presse en ligne CERIGUA le 6 septembre 2017.