Peut-on continuer à défendre le gouvernement vénézuélien présidé par Nicolás Maduro ?

La crise politique et sociale vénézuélienne soulève des protestations mais aussi des opinions controversées dans le monde. Aux États-Unis, le président Donald Trump, avec son habituel langage radical annonce des sanctions d’un autre temps en Amérique latine. Si elles étaient mises en pratique, d’après des spécialistes économiques latino-américains, elles étrangleraient davantage l’économie exsangue de ce pays avec l’ineptie du gouvernement du président Nicolás Maduro. En France, la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon se refuse à reconnaître l’échec de l’expérience bolivarienne et dénonce le rôle de l’opposition au Venezuela et de l’ingérence nord-américaine. Pour sa part le président français Emmanuel Macron est sorti de son silence qualifiant de « dictature » le régime vénézuélien. Nous vous conseillons de lire aussi l’éditorial de Laurent Joffrin, publié dans le journal Libération du 27 août dernier et qui est en ligne sur le site de Libé ici.

Photo : Cronicas – Caracas

Au Venezuela, la procureure générale du Venezuela Luisa Ortega a été écartée de ses fonctions début août, après avoir dénoncé la radicalisation du président socialiste Nicolás Maduro. Son éviction a été décidée par la toute nouvelle et toute-puissante Assemblée constituante. Elle se considère victime d’une « persécution politique ». Elle a rejoint lundi le Costa Rica, et a accusé, lors d’une conférence de presse, le gouvernement vénézuélien de chercher à l’abattre : « Je possède des informations qui indiquent que je suis toujours victime d’une persécution et que le gouvernement a engagé des tueurs pour attenter contre ma vie ». Elle a d’abord rejoint la Colombie puis le Brésil avant de finalement gagner le Costa Rica.

Chaviste de la première heure, Luisa Ortega, 59 ans, avocate de formation, connue pour sa force de caractère, critique autant la violence des forces de l’ordre dans les manifestations, le jugement de civils devant des tribunaux militaires ou encore la légitimité de la Constituante, élue dans le sang fin juillet. Luisa Ortega verra ses comptes bancaires gelés et elle se voit interdite de sortie de territoire. Le 16 août, le gouvernement demande l’arrestation de son époux, le député chaviste German Ferrer, accusé de diriger un réseau d’extorsion de fonds. S’en suit alors une évasion, l’ex-procureure générale Ortega et son mari embarquent clandestinement à bord d’un bateau jusqu’à l’île caribéenne d’Aruba. De là, un avion privé les mène à Bogota. Défiant les menaces, Mme Ortega multiplie les interventions publiques pour dénoncer le gouvernement vénézuélien. Arrivée à Brasilia le 22 août, lors d’une rencontre des procureurs des pays du Mercosur, le marché commun sud-américain, elle continue ses critiques du régime bolivarien. Revenue le 25 août en Colombie, qui lui a offert l’asile politique, Luisa Ortega est réapparue lundi au Costa Rica où elle a accusé le gouvernement vénézuélien d’avoir engagé des tueurs pour attenter à sa vie.

L’ONU s’inquiète de la dérive autoritaire du gouvernement

Venons aux faits dénoncés par le rapport d’une équipe de spécialistes des droits de l’homme qui a interviewé à distance quelque 135 victimes et leurs familles, ainsi que des témoins, des journalistes, des avocats, des médecins, et des membres du bureau de la procureure générale.  Les autorités vénézuéliennes ayant refusé l’accès au pays aux enquêteurs de l’ONU. Le Haut-commissariat des droits de l’homme de l’ONU, a affirmé ce mercredi 30, que la « démocratie au Venezuela est à l’agonie » lors de la présentation de ce rapport. Ce document accuse le gouvernement de « réprimer toute opposition politique par la terreur » afin d’empêcher toute manifestation. Bien que le président Nicolás Maduro « a été élu par le peuple », a reconnu Zeid Ra’ad Al Husein, le Haut-commissaire, devant la presse à Genève, son action donne l’impression que « ce qui restait de vie démocratique au Venezuela est en train d’être écrasé ».

Le document dénonce également « l’usage excessif et systématique de la force lors des manifestations et la détention arbitraire des manifestants et opposants ». Il exprime son inquiétude à propos de la crise économique, sociale et politique qui empire de jour en jour. Dans ce pays producteur de pétrole, la population subit une grave pénurie alimentaire et des produits de première nécessité depuis des longs mois ou même des années. D’après le même ministère public du Venezuela, 124 personnes sont mortes lors des manifestations entre le 1er avril et le 31 juillet. Pour l’ONU, 46 personnes décédées sont mortes par l’action des forces de sécurité et 27 ont été abattus par des groupes armés progouvernementaux connus sous le nom de “colectivos”. Zeid ne se dit pas rassuré au sujet d’éventuels procès “pour trahison à la patrie” annoncés par la nouvelle Assemblée constituante contre les opposants ayant « promu » les sanctions financières des États-Unis annoncées par Donald Trump. Ce même rapport dénonce la pratique de la torture contre les prisonniers politiques. Plus de cinq milles personnes ont été détenues depuis le mois d’avril passé.

Aux graves tensions internes s’ajoute la crise frontalière avec la Colombie. Samedi dernier, le gouverneur de l’État de La Guajira, Weildler Guerra, a dénoncé l’incursion des membres de la Guardia nacional bolivariana dans ce département frontalier. Le ministère des Affaires étrangères a nié cette incursion, tout en reconnaissant que durant le week-end passé des exercices militaires ont été réalisés dans tout le pays y compris à la frontière, par ordre du président Maduro. Au Venezuela, l’armée a été mobilisée le week-end passé pour de grandes manœuvres militaires, en réponse à la « menace » du président américain Donald Trump. À Caracas, où forces de l’ordre et miliciens ont défilé samedi, des partisans du gouvernement, vêtus de rouge se sont eux essayé au maniement du fusil ou aux techniques de combat, dans le cadre d' »une marche anti-impérialiste ». Le lancement de ces manœuvres « Souveraineté bolivarienne 2017 » a été réalisé samedi par le chef de l’État et son ministre de la Défense Vladimir Padrino López. Au cours du week-end, 200 000 soldats et 700 000 miliciens, réservistes et civils armés ont participé à cette démonstration de force. En conclusion, le rapport invite le Conseil des droits de l’homme des Nations unies à « envisager de prendre des mesures afin d’empêcher que la situation des droits de l’homme au Venezuela, qui siège actuellement au Conseil, ne se détériore davantage ».

Olga BARRY

Laurent Joffrin dans Libération