Le festival de cinéma de La Rochelle rend hommage au réalisateur colombien Rubén Mendoza

Le 45e festival international du film de La Rochelle se tient cette année du 30 juin au 9 juillet.  Le festival présente environ deux cents films de fiction, des documentaires, des films d’animation, originaires du monde entier, dans tous les formats. Les séances sont toutes ouvertes au public. À travers des rétrospectives, des hommages, des découvertes, des fictions d’ici et d’ailleurs et d’hier à aujourd’hui, mais également des films destinés aux enfants, le festival vous promet de beaux moments d’émotion. Cette année parmi les sections à souligner est l’hommage du festival au réalisateur colombien Rubén Mendoza.

Le cinéma colombien, au sens large, rassemble les productions cinématographiques réalisées en Colombie ou considérées comme étant colombiennes pour diverses raisons. Il est issu d’un processus historique, comme c’est le cas pour tout cinéma national, et s’inscrit dans une dimension industrielle et artistique. Au cours de son histoire, le cinéma colombien n’a pas été considéré comme une industrie rentable, ce qui fit obstacle à une continuité de sa production. Lors des premières décennies du XXe siècle, quelques compagnies ont essayé de nourrir un niveau constant de production ; mais le manque d’appui économique et la forte concurrence étrangère ont cassé les initiatives. Grâce à la création de la Compañía de Fomento Cinematográfico (FOCINE), quelques productions ont pu être réalisées. Cependant, cette compagnie a été liquidée au début des années 1990. Actuellement, grâce à la loi du cinéma approuvée en 2003, des initiatives renaissent autour de l’activité cinématographique, ce qui permet une relance du cinéma colombien, tant sur le plan national qu’international.

Rubén Mendoza réalisateur talentueux et célèbre dans son pays sera mis en lumière lors de cette 45e édition par le biais d’un hommage. En effet cette année les amoureux du cinéma auront la chance de faire la rencontre de celui qui mêle entêtement et obstination dans ses œuvres. Rubén Mendoza sera donc présent au festival du 30 juin au 5 juillet et vous donne rendez-vous le lundi 3 juillet à 16h15 au théâtre Verdière pour la fameuse rencontre qui mêlera moment d’échange et pure émotion avec les fans. Ça sera l’occasion de mettre en avant la Colombie ainsi que le cinéma colombien mais aussi pour certains de faire la connaissance de celui qui est tant reconnu dans son pays.

Tiphania BABA CARDIA

Quelques-unes de ses œuvres : La Sociedad del semáforo (2010) / De la terre sur la langue ( 2013)   / Memorias del cavalerie ( 2014) /El val sin sombras ( 2015, doc)

Nous transcrivons un entretien du journaliste Cédric Lépine de Mediapart avec Ruben Mendoza concernant son film  De la terre sur la langue au festival international du film d’Amiens 2014.

C. L. : Dans ton film, on voit un lien très fort avec le cinéma de Luis Ospina mêlant faux documentaire et vraie fiction : l’enregistrement audio du début du film est-il issu de tes propres archives ?

R. M.  : Non. C’est une construction utilisée pour le film seulement. Je pense qu’il y a de grands mensonges qui servent à dire de grandes vérités, comme l’a très bien illustré Luis Ospina dans Agarrando pueblo et Los Tigres de papel dont je fus également le monteur. Si l’on filme sa propre chambre, qu’est-ce qui est vrai dedans ? Parfois le documentaire peut être beaucoup plus chargé de fiction que la fiction elle-même et inversement. Pour moi seul ce qui importe est l’expression cinématographique en tant que telle. Mon idée est qu’en utilisant des archives sonores j’apporte une part documentaire au film. De la même manière que l’on reconnaît toujours sa langue maternelle, on reste lié à la maison, à la terre, aux paysages de son enfance. Pour écrire mon film il suffit de faire sortir tout cela. Le cinéma est une chose difficile mais il faut rester intègre, loin des tentations de la gloire et de l’argent. Mon film est d’une certaine manière une extension de certains membres de ma famille qui ont aujourd’hui disparu.

Juliette Janin : Peux-tu parler du thème de la terre qui est au cœur du film ?

La terre, c’est tout. Elle est au cœur du conflit dans lequel se trouve la Colombie depuis plusieurs décennies. La terre dans le film est très difficile à travailler et l’on peut y voir une métaphore du pays lui-même. À la campagne, une terre peut permettre de disposer de ressources menant à l’autosuffisance alimentaire. Le problème est que ceux qui ont du pouvoir et détiennent la terre, ne voient pas les choses ainsi puisqu’ils n’y voient que la valeur économique de celle-ci. Certains préfèrent conserver l’illusion que la terre appartient à ceux qui disposent des papiers de propriété plutôt qu’à ceux qui la travaillent avec leurs mains. La vérité est que nous nous retrouvons sur une terre que l’on nous a prêtés. Au-delà de la terre, le problème vient de cet amour excessif pour la possession. Les frontières sont également le fruit de grands mensonges qui ne sont là que pour asservir les travailleurs immigrants. Le problème de la terre se retrouve à travers le monde entier et concerne donc tout le monde.

Est-ce que le personnage de Don Silvio représente une société et une époque qui sont en train de disparaître dans la Colombie actuelle ?

Il représente en effet la nostalgie pour une époque révolue qui fut terrible. Dans mon cas personnel, ce personnage interroge ma propre relation avec mon grand-père et l’héritage du monde qu’il me laisse. Derrière une figure patriarcale se cache beaucoup d’autres figures patriarcales. Le thème de la terre conduit à répéter des choses d’une époque antérieure sans que l’on s’en rende compte.

Dans ton film, le personnage principal reste le grand-père alors que l’on sait peu de choses de ses petits-enfants, de leur vie privée, de leur engagement politique, etc.

C’est en effet ce qui se passe et c’est là un choix esthétique de ma part. Ainsi les cadrages de la caméra sont particuliers avec une image souvent au centre. J’aime beaucoup à cet égard le film de Victor Erice Le Songe de la lumière (El Sol del membrillo), où le peintre Antonio López répond à l’un de ses amis qui lui demande de placer l’arbre au centre de sa toile : « non, au centre il y a tout autre chose. » Quel est le centre des choses ? On retrouve cette idée dans le film et ce qui s’applique au type de cadre, s’applique à l’histoire elle-même, au son, à l’interprétation. Par exemple, pour le premier jour de tournage nous avons traité le passé de Silvio. Les petits enfants ne sont en effet pas au centre de l’histoire, c’est pour cela qu’ils ne sont pas autant développés. Ce que je souhaite montrer est toujours au centre.

Source : mediapart.fr