Les élections présidentielles chiliennes : les enjeux d’un renouveau politique

Alors que la France est en pleine période électorale, peu d’informations sont disponibles concernant un autre pays qui va voir son paysage politique bientôt se modifier : le Chili. En effet ce pays choisira en novembre et décembre prochains le successeur de la socialiste Michelle Bachelet au palais présidentielle de La Moneda depuis mars 2014.

photo : Campagne officielle du PS

Le déroulement des élections dans un contexte constitutionnel modifié | Les élections présidentielles et législatives chiliennes auront lieu le 19 novembre et le 17 décembre. Pour départager les candidats des partis il y aura, comme en France et sur le modèle américain, des primaires le 2 juillet. Le scrutin primaire est ouvert aux partis ou coalitions qui désigneraient ainsi leurs candidats aux élections présidentielle et législatives du 19 novembre.

Synonyme de changement constitutionnel depuis l’avènement de la démocratie post-Pinochet, ces élections seront historiques. Elles marquent le renouvellement de la Chambre des députés et de la moitié du Sénat mais changent aussi le mode de scrutin qui passent d’un système binominal à un système proportionnel. Le nombre de députés a été augmenté, passant de 120 à 150, tout comme celui des sénateurs, passant lui de 38 à 50. Les circonscriptions électorales ont été modifiées. Pour répondre aux derniers scandales, une régulation et un encadrement du financement des campagnes a aussi été mis en place.

Les principaux candidats | La présidente actuelle, Michelle Bachelet, élue en 2014, ne peut se représenter puisque la Constitution interdit à tout président sortant de se représenter. Les médias chiliens présentaient au début du mois de mai 2017 deux principaux candidats: Sebastián Piñera pour la droite et Alejandro Guillier pour la gauche. Sebastián Piñera est l’ancien président du pays (2010-2014). Membre fondateur de Renovación Nacional, il est suspecté de corruption mais reste le grand favori des primaires de la droite. Alejandro Guillier est un ancien présentateur d’émissions politiques et d’investigations sur les chaînes télévisées chiliennes, responsable pendant des années, de 1999 à 2008, du principal programme d’information dominicale. Membre du Parti radical, il est le candidat du centre gauche et surtout le seul candidat aux primaires de la gauche et du centre.

Ricardo Lagos s’est en effet retiré de la campagne après sa défaite lors d’un vote interne en avril pour désigner l’aspirant du PS à la primaire de la Nueva Mayoría, la coalition de gauche qui a soutenu Michelle Bachelet. C’est lors de ce vote que les militants ont désigné l’ancien présentateur vedette comme candidat du parti socialiste pour les présidentielles.

Si M. Guillier est le seul candidat de la gauche et du centre c’est aussi parce que Carolina Goic, candidate démocrate chrétienne a décidé de se présenter en dehors de la primaire alors même que son parti est membre de la majorité de Bachelet. Marco Enríquez-Ominami, troisième homme lors des élections en 2009 avec plus de 20 % des voix et en 2013  avec 10,98 % de voix, a annoncé sa candidature en mai 2017. Le fondateur du parti Los Progresistas (les progressistes) pourrait donc une nouvelle fois s’avérer être un adversaire de taille.

Le bilan impopulaire de Michelle Bachelet | Le deuxième et ultime mandat de la présidente socialiste s’achève dans la douleur. Elle récolte en effet entre 60 % et 75 % d’opinions défavorables selon les sondages. Même si le bilan de Bachelet est honorable, il est fortement contesté. La baisse du chômage à 6,4 % malgré le ralentissement de la croissance économique ainsi que les bonnes prévisions de l’OCDE, qui estime que les conditions d’une reprise, même timide, sont réunies (progression du PIB de 2,52 % prévue cette année contre 1,66 % en 2016), ne suffisent pas à calmer les détracteurs de la présidente.

La hausse du PIB reste encore loin de la moyenne de 4,5 % entre 2001 et 2013. Et d’autres sources de mécontentement demeurent. Les promesses de réformes constitutionnelle et de l’éducation n’ont pas été respectées, ce qui a valu à l’actuelle présidente de chuter considérablement dans les sondages. Elle a aussi dû faire face à d’importantes manifestations comme celle du syndicat des travailleurs d’Escondida, au Chili, la plus grande mine de cuivre du pays, qui s’est terminée en mars ou encore les mouvements étudiants pour la gratuité des universités en avril dernier. Des soupçons de corruption dans son entourage n’ont fait que ternir un peu plus sa réputation.

Le choix d’un nouveau visage | Michelle Bachelet entraîne avec elle, dans sa chute de popularité, l’intégralité de son parti. Les six remaniements effectués pendant trois ans ont démuni la politique de Bachelet de ligne directrice. La fille de l’ancien président Salvador Allende, Isabel Allende Bussi, pourtant très appréciée, a par exemple dû se rétracter alors qu’elle aspirait à se présenter pour les présidentielles.

Renée Fregosi, philosophe, politologue et directrice de recherche en sciences politiques à l’université Paris III-Sorbonne Nouvelle, estime qu’«en désignant Alejandro Guillier, les socialistes ont choisi de régénérer le parti.». Elle pense que ce choix risqué reste tout de même courageux pour un PS «en phase d’essoufflement ». Choisir quelqu’un en dehors du parti leur permet de faire peau neuve, de se réinventer et donc de retrouver la confiance d’électeurs désillusionnés.

Vers un retour de la droite ? | Grand vainqueur des municipales d’octobre 2016 et lancée sur cet élan, la droite pourrait remporter les prochaines élections. L’ex-président de centre droit Sebastián Piñera est le favori selon les sondages. Cependant le candidat de la coalition du centre droit Chile Vamos est suivi de près dans les sondages par Guillier. Marco Enríquez-Ominami se retrouve en chute libre puisqu’il a actuellement seulement 18 points d’opinions positives. Le poids de l’ancien troisième homme pourrait donc être moindre par rapport à ses résultats de 2009 et 2013.

Un coude à coude gauche/droite encore possible |  Sebastián Piñera contre Alejandro Guillier. C’est ce que présagent les sondages pour le second tour de la présidentielle. Dans ce cas le Chili ferait face à un réel duel générationnel opposant un homme bien ancré dans le paysage politique, sénateur et ancien président de la République post-Pinochet, à un candidat du renouveau, politicien indépendant sans réel passé militant. Guillier est en effet sénateur depuis seulement quatre ans de la région de Antofagasta au nord du pays. Même si M. Piñera est en tête pour le moment, rien n’est joué. M. Guillier ne cesse de monter dans les sondages, et ce malgré les indices de popularité décroissants de Mme Bachelet, indices les plus bas qu’ait obtenus un président chilien depuis près de vingt-cinq ans.

Les voix abstentionnistes | L’abstention est la grande inconnue des prochaines élections. Lors des municipales d’octobre 2016, elle avait pratiquement atteint 65 %. Un sondage diffusé par El Mercurio dresse un schéma où 46 % des électeurs se sont déclarés sûrs d’aller voter pour la présidentielle. À l’inverse, 15 % savent et assurent qu’ils bouderont les urnes en novembre et décembre.

Maud REA