Panorama des palmarès de Cinelatino de Toulouse 2017

Cinelatino, les 29e rencontres du cinéma latino-américain de Toulouse, s’est terminé le 26 mars. Il proposait une multitude de films de l’année écoulée et prépare la nouvelle saison avec l’opération « Cinéma en construction » qui aidera La novia del desierto (Argentine-Chili) de Cecilia Atán & Valeria Pivato. Il y avait douze films sélectionnés en compétition, dont onze premières françaises et une première européenne, et quinze films présentés en section Découvertes. Quelques mots sur les films primés.

Photo : le film Los Nadie.

Carpinteros de José Maria Cabral (République Dominicaine). Tourné à l’intérieur de trois prisons de République Dominicaine avec la participation active des détenus et de l’encadrement, Carpinteros (piverts) nous plonge de manière très réaliste dans la vie pénitentiaire avec ses trafics, ses rapports de force, ses petits arrangements, ses rapports entre les hommes et les femmes, même séparés, communiquant grâce à un étonnant langage des signes. Il est rare de voir un film dominicain. Pourtant il s’agit du cinquième film du réalisateur, âgé seulement de 29 ans. Il fait montre d’une très grande maitrise et espérons que son prix nous permette de voir ses films, inédits en France.

Mala junta de Claudia Huaiquimilla (Chili). Pour éviter l’internement dans un centre de rééducation, Tano est expédié dans le sud du Chili chez son père qu’il n’a pas vu depuis des années. Entre l’ennui de la vie à la campagne et le ressentiment pour son père, une amitié va naître entre l’ado rebelle et Cheo, un garçon timide et maladroit harcelé en raison de ses origines indigènes, tandis que la communauté mapuche doit faire face à de fausses accusations et affronter la violence policière. Ce film a conquis le public qui lui a décerné son prix. La réalisatrice d’origine mapuche a bien su montrer, à travers l’histoire d’un adolescent rebelle accompagné de Cheo, le contexte politique très particulier du peuple mapuche, qui n’intéresse guère la plupart des chiliens.

Pariente de Iván Gaona (Colombie). Ce premier long métrage se déroule dans un village où la vie quotidienne des habitants continue à être marquée par la violence du conflit armé vieux d’un demi-siècle. Willington essaie de récupérer l’amour de son ex-fiancée qui est sur le point de se marier avec son cousin. Nous sommes dans la période de négociation des accords de paix. Se pose le difficile problème du retour à la normalité dans un pays si longtemps submergé par la guerre, car des paramilitaires refusent la démobilisation et continuent de roder dans les campagnes. Un film d’actualité qui évite le didactisme par son niveau d’humour. Prix de la presse internationale et prix des lycéens.

Los nadie du colombien Juan Sebastían Mesa a gagné le grand prix coup de cœur de Toulouse. Ce film en noir et blanc, tourné en dix jours avait été sélectionné dans Cinéma en construction. Cinq amis, qui veulent rompre avec le monde des adultes et un quotidien trop étriqué, rêvent de voyager en Amérique du Sud et se préparent à cette expérience. Quelques jours avant leur départ, ils parcourent Medellín, ville plutôt hostile et chaotique. Les arts de la rue, les graffitis, les tatouages et la musique sont leur trait d’union, leur refuge, leur culture.

Je complète avec deux bons documentaires vus à Toulouse : Jerico, el infinito vuelo de los dias est très coloré et joyeux. C’est à la fois un itinéraire musical mais aussi poétique de huit portraits intimes de femmes, d’âges et de conditions sociales différentes vivant dans la ville de Jerico, dans la région d’Antioquia, en Colombie. A travers leurs rencontres et leurs conversations se dévoilent leurs histoires de vie profondes, leurs espaces intérieurs, leur sens de l’humour et leur sagesse. Il a été doublement primé par le Jury et le Public. El pacto de Adriana de Lissette Orosco (Chili). Enfant, Lissette voit en sa tante Adriana, émancipée du giron familial, une figure féminine libre et indépendante qui la remplit de cadeaux. Plus tard, elle découvre que sa tante aurait pactisé avec les tortionnaires de la Dina. Adriana Rivas est poursuivie pour actes de tortures dans le cadre de son emploi pendant la dictature de Pinochet. Tiraillée entre sa quête de vérité et l’admiration qu’elle voue à sa tante, Lissette décide de chercher la vérité en filmant par Skype, les entretiens avec sa tante qui vit en Australie et en questionnant ceux qui l’ont connu. Ce film très émouvant a obtenu le prix Signis.

Chaque festival est le lieu de rencontres, de rétrospectives et éventuellement, de focus. Cette année Toulouse proposait « Caliwood, hier, aujourd’hui, demain ». À l’échelle de l’Amérique latine, la ville de Cali est une référence importante dans l’histoire du cinéma. Tout a commencé dans les années 1970, avec un groupe de « quelques jeunes bons amis », – le « groupe de Cali » – dans une salle de cinéma du quartier San Fernando. La cinéphilie dans une ville en pleine modernisation les amena à la création d’un ciné-club, d’une revue, Ojo al cine, et à la réalisation. Le court métrage Agarrando pueblo, accompagné du texte manifeste « La pornomiseria » ou l’exploitation de la misère par le cinéma, furent fondateurs d’un mouvement qui enchaîna courts et longs métrages et qui marqua une époque de camaraderie, d’expérimentation, d’esprit critique et de jouissance.

Ces quatre éléments continuèrent de définir les différentes expériences audiovisuelles qui allaient avoir lieu dans la ville tropicale du sud-ouest colombien. Dans les années 1990, l’École de communication de l’Université du Valle, fut l’épicentre du boom du documentaire, lequel trouva comme espace de diffusion l’émission de télévision Rostros y rastros. Plusieurs générations d’étudiants et de réalisateurs, parmi lesquels Luis Ospina du groupe de Cali (qui a présenté six de ses films), et Óscar Campo, proche du groupe et enseignant à l’École, continuent de fabriquer des portraits et des regards fins des transformations sociales et des pratiques artistiques et culturelles de la ville.

Alain LIATARD
Envoyée spécial

Pour en savoir plus, on peut se procurer le n° 25 de la revue Cinéma d’Amérique latine consacré au cinéma colombien et édité par Cinelatino  et les PUM. 20 euros.