La démocratie est-elle menacée par la corruption des Transnationales en Amérique latine ?

Les scandales Petrobras au Brésil, Panama Papers, Odebrecht et autres entreprises dans toute l’Amérique latine révèlent les liens étroits entre la classe politique et les sociétés transnationales (STN), avec pour conséquences, la démotivation et le rejet du politique par les citoyens. Une menace pour la démocratie ?

Les révélations de Marcelo Odebrecht à la justice brésilienne en échange d’un allègement de sa peine pour corruption ont violemment secoué l’Amérique latine. Les citoyens ont découvert l’étendue de la connivence entre les transnationales et les politiciens de leurs pays. La BTP (Travaux publics) Odebrecht a ainsi payé des pots-de-vin à un nombre important de parlementaires et de politiciens de plusieurs pays pour obtenir de juteux contrats au détriment des entreprises locales. Elle n’est pas la seule…

Au Brésil.   Odebrecht a payé plusieurs millions de dollars à des politiciens des trois principaux partis brésiliens pour obtenir des contrats liés à la construction de stades pour les JO de 2016. En lançant une enquête baptisée de Lava Jato (Lavage express), le juge Sergio Moro a ouvert une boite de Pandore. Près de 80 parlementaires, mis en examen, ont reconnu avoir reçu de l’argent de diverses entreprises du BTP pour les favoriser lors des appels d’offre liés aux grands travaux publics. Les principaux « bénéficiaires » appartiennent aux trois grands partis, en particulier au PSDB du candidat présidentiel pour les élections de 2018 Aecio Neves et au PMDB du président de facto Michel Temer qui a déjà dû « démissionner » plusieurs de ses ministres pour corruption avérée. Lula da Silva et Dilma Rousseff du PT sont également accusés mais il n’existe, pour le moment, aucune preuve.

Au Pérou.   Les journalistes du site IDL-Reporteros ont révélé l’étendue de la corruption Odebrecht dans ce pays. Les trois derniers présidents, Alan Garcia, Ollanta Humala et Alejandro Toledo, sont accusés par Jorge Barata, ex-représentant d’Odebrecht au Pérou, d’avoir reçu des millions de dollars de pots-de-vin pour octroyer à la BTP les travaux des principaux tronçons de la route interocéanique Brésil-Pérou. Alejandro Toledo, résidant aux États-Unis et sous le coup d’une demande d’extradition de la part de la justice péruvienne, a préféré « disparaitre de la circulation ». Les directeurs d’Odebrecht en prison au Brésil annoncent qu’ils publieront les preuves de la corruption massive de parlementaires et de hauts fonctionnaires péruviens…

En Argentine.   Le président Mauricio Macri fait partie des sept chefs d’État impliqués dans les Panama Papers. Comme de coutume, il prétend qu’il « n’a rien fait d’illégal ». Plus récemment, Gustavo Arribas, un homme d’affaires ami du président Macri, nommé par lui à la tête des services secrets argentins, est accusé d’avoir reçu 600 000 dollars du Brésilien Leonardo Meirelles pour les répartir à divers fonctionnaires argentins, toujours pour obtenir des contrats de construction d’infrastructure. Meirelles est actuellement sur le banc des accusés au Brésil, Arribas est toujours responsable des services secrets en Argentine.

Ailleurs…   La BTP brésilienne reconnait avoir mis sur pied une « Division des opérations structurées », véritable département de l’organisation de la corruption. Elle aurait ainsi payé, entre 2001 et 2016, plus de 788 millions de dollars en pots-de-vin un peu partout en Amérique latine, qui lui ont rapporté plus de 3 milliards de bénéfices. Les autorités judiciaires de divers pays enquêtent sur les bénéficiaires potentiels des largesses d’Odebrecht qui toucheraient une bonne douzaine de pays. Au Mexique, l’enquête se dirige vers l’exploitant national du pétrole Pemex. Odebrecht aurait payé plus de 35 millions de dollars à des fonctionnaires équatoriens. L’entreprise avait été expulsée du pays par le président Rafael Correa en 2008 pour irrégularités mais ré-autorisée en 2010. Le réseau de corruption toucherait aussi la Colombie, le Venezuela, le Guatemala, le Panama et la République dominicaine.

Odebrecht n’est pas la seule ni la pire !    Des analystes du CELAG (Centro Estratégico Latino-americano de Geopolitica) (1) font remarquer que le scandale Odebrecht est parti du Département du Trésor des États-Unis, en vertu  d’un amendement à la loi qui permet aux États-Unis de poursuivre des entités ou des personnes qui auraient commis des actes de corruption en territoire US. Or, Odebrecht n’est pas la STN la plus « corruptrice », loin s’en faut. Dans un classement, elle apparait au poste n° 13, derrière bien des entreprises US. Et CELAG de se demander si l’élimination d’Odebrecht ne servirait pas à favoriser les STN états-uniennes… Par exemple, en Colombie, plusieurs entreprises états-uniennes (Glencore, CB&I et Foster Wheeler) ont  empoché plus d’un milliard de dollars pour des contrats de modernisation d’une raffinerie de pétrole sous le gouvernement de Alvaro Uribe. En 2007, la STN Dow Chemical a réussi à introduire un avenant au CAFTA (Accord de libre-échange entre USA, Amérique centrale et République Dominicaine) qui lui permet de lancer des procédures de « compensation » contre les États lorsque la STN considère qu’une loi nationale viole le principe « du traitement juste et équitable », c’est-à-dire une loi qui risque de diminuer ses profits ! (2)

La démocratie en danger ?   Pour Fernando de la Cuadra, docteur en sciences sociales et analyste politique, « nous nous trouvons  devant une claire démonstration que les intérêts des STN se mélangent aux expectatives de rente d’individus puissant enkystés dans les structures politiques et les appareils de l’État… Ils consolident ainsi un régime qui méprise les pratiques démocratiques… Aucune démocratie ne peut résister à une toujours croissante inégalité dans la distribution des richesses à partir des relations faussées établies en secret entre entreprises privées, gouvernements et classes politiques  «  (3). Pour Marisol Pérez Tello, ministre de la Justice et des Droits humains du Pérou, « Odebrecht est un symptôme. La grande maladie est l’impunité ».

Lutter contre l’impunité.   Il existe déjà une Convention des Nations unies contre la corruption signée et ratifiée par une centaine de pays, mais beaucoup trainent les pieds. Elle ne sera efficace que si vraiment appliquée. En juillet 2014, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a adopté une résolution proposée par l’Équateur et l’Afrique du sud ouvrant la porte à l’élaboration d’un instrument juridiquement contraignant sur les STN (4), peut-être l’ébauche d’un futur traité. La Campagne mondiale pour le démantèlement du pouvoir des STN, un collectif de dizaines d’associations et de mouvements sociaux, a produit une série de propositions  lors de la première session du groupe de travail intergouvernemental chargé d’élaborer cet instrument (5). C’est aux citoyens de soutenir ces initiatives. C’est la survie de la démocratie qui est en jeu…

Jac FORTON

(1) CELAG : Centro Estratégico Latino-americano de Geopolitica.   (2) Lire la brochure « Lutter contre l’impunité des STN » publié par le Cetim de Genève.  (3) Article publié par ALAI en ligne le 17 février 2017.  (4) Résolution A/HRC/RES/26/9, adoptée par 20 voix pour, 14 contre et 13 abstentions.  L’Allemagne, les USA, la France, l’Italie, la Grande Bretagne (entre autres) ont voté contre…   (5) Lire le livre « Juger les multinationales », par Éric David et Gabrielle Lefèvre, préface et dédicace de Jean Ziegler et Ken Loach, éditions GRIP-Mardaga. 190 pages. Texte de la proposition sur le site des Amis de la terre.