La mémoire des femmes torturées durant la dictature argentine

À l’occasion de l’exposition « Luttes et victoires des grands-mères de la Place de Mai » présentée à l’Espace des éditions des femmes-Antoinette Fouque, nous revenons sur le livre Pour mémoire (Argentine 1976-1983) de l’écrivaine Susana Romano Sued, un texte sur la torture des femmes détenues dans des prisons argentines durant la dictature.

Photo : WordPress IPC Canada

Comment dire l’indicible, faire comprendre l’irracontable…  Ce livre tente d’y répondre par un texte éclaté, mêlant réalisme et lyrisme, mêlant voix anonymes des bourreaux et voix des prisonnières. Le lecteur y côtoie le désespoir absolu, mais aussi la solidarité entre victimes et les efforts de mémoire pour ensuite témoigner dans un futur incertain. L’auteure, qui fut détenue au centre de La Perla, nous livre un témoignage vécu dans sa chair de ce qu’ont vécu pendant des mois des milliers de femmes dans l’enfer de ces centres. Elle dévoile la douleur, la souffrance des tortures sans cesse répétées, la terreur, les manipulations, les humiliations, les viols accompagnés de la peur obsédante de la maternité, les accouchements dans la violence et le nouveau-né arraché à sa mère et volé. Elle raconte aussi les camarades retournées, leur déloyauté, elles-mêmes transformées en appât pour piéger les proches, l’arbitraire des transferts et la mort anonyme…  Toutefois, au milieu de cette horreur omniprésente, un peu de chaleur est illustrée par l’une des personnes les plus émouvantes du livre, qu’elle nomme « Elle » : elle, détenue d’une extraordinaire humanité, protège, console, distribue conseils et tendresse, organise une certaine discipline. Malheureusement, après une absence et, on s’en doute, des tortures abominables, elle revient complètement brisée, anéantie et devient par ses plaintes incessantes une source d’agacement et de mépris.

Pas de récit linéaire, mais des paragraphes alternant des images fortes, crues, lyriques voire tragiques avec des voix très réalistes, anonymes, mêlées, de détenues, de tortionnaires. La syntaxe est bouleversée, donnant un rythme haché, haletant, correspondant à l’horreur sans fond que subissent ces femmes. Cette façon d’écrire nous empêche d’être voyeur, donne un texte puissant, très prenant, qui va accompagner longtemps le lecteur. L’excellente initiative de présenter la version bilingue renforce la conviction que c’est un livre précieux pour l’humanité et à découvrir de toute urgence.

Dans le cadre du programme, l’Espace des femmes, les associations HIJOS-Paris et le Collectif argentin pour la mémoire présentent l’exposition « Les petits-enfants des grands-mères de la Place de Mai », des photographies d’Alejandro Reynoso.

Louise LAURENT

Dans notre newsletter de la semaine passée, nous annoncions aussi le colloque internationale sur la mémoire en temps de dictature qu’organise l’université Lumière Lyon-II les jeudi 9 et vendredi 10 février. En savoir plus ici.