Le juge chilien Juan Guzmán reçoit le prix Edelstam en Suède

Le prix Edelstam 2016 a été octroyé au juge chilien Juan Guzmán pour sa contribution à la défense des droits humains. Le prix lui a été remis par la Fondation Edelstam dans la Maison de la noblesse de Stockholm en Suède le 15 novembre dernier. Le juge Guzmán était venu en France en 2013 pour une tournée de présentation d’un film décrivant ses efforts pour inculper le général Pinochet pour les crimes contre l’humanité commis sous son régime.

Photo : France 3

Le prix Edelstam – Il reçoit son nom et est octroyé en mémoire de Harald Edelstam (1913-1989), l’ambassadeur suédois à Santiago lors du coup d’État du général Augusto Pinochet contre le président Salvador Allende le 11 septembre 1973.  Son action a permis de sauver la vie de plus de mille personnes.

Le Jury –   Présidé par Caroline Edelstam, petite-fille de l’ancien ambassadeur, le jury se compose de la juge Shirin Ebadi, prix Nobel de la paix 2003 ; du Dr Pascoal Mocumbi, ancien Premier ministre du Mozambique ; du professeur Philip Alstom, relateur spécial des Nations unies sur la pauvreté et les droits humains ; du Dr Luis Ocampo, ancien juge de la Cour pénale  internationale de La Haye, et du juge Baltazar Garzón, connu pour être le juge à l’origine de l’arrestation du général Pinochet à Londres en octobre 1998. Dans les raisons données pour l’attribution du prix, la Fondation souligne qu’elle « reconnait la nécessité d’une législation internationale qui promeuve l’obligation de rendre des comptes pour les violations aux droits humains. Les États ont la responsabilité de protéger les droits, d’établir une justice, de garantir la protection des victimes et éviter l’impunité. L’histoire ne doit pas se répéter (1) ».

Le juge Juan Guzmán   D’abord favorable au coup d’État en 1973, il est rapidement déçu par les actions de répression de la Junte militaire qu’il n’a jamais soutenue. En 1998, le tirage au sort le désigne pour instruire les plaintes déposées contre le général Pinochet pour les crimes commis pendant la dictature. Ses enquêtes auprès des familles des victimes et les preuves de plus en plus nombreuses des tortures, des assassinats et des disparitions le convainquent qu’il faut qu’il puisse interroger l’ancien dictateur. Malgré ses efforts, les recours incessants des avocats déposés en série auprès des instances judiciaires retardent sans arrêt le début d’une procédure devant mener à un tribunal.

En octobre 1998, le général Pinochet se rend secrètement à Londres pour « affaires » (l’achat de matériels militaires) mais il est arrêté suite à un mandat international lancé contre lui par le juge espagnol Baltazar Garzón qui voulait ouvrir une procédure en Espagne contre le dictateur. Bien que la Chambre de justice des Lords se soit prononcée à deux reprises pour l’extradition vers l’Espagne, Pinochet est libéré par le ministre de l’Intérieur britannique Jack Straw et autorisé à rentrer au Chili après une détention de 503 jours. Trois jours après son retour à Santiago, il est mis en examen par le juge Guzmán.

Le juge Guzmán fait avancer le droit international   La Fondation Edelstam explique que le juge Guzmán, ému par les témoignages des victimes et de leurs familles, ainsi que par les preuves de plus en plus nombreuses et claires des crimes commis par la dictature, est passé par un processus personnel de transformation. Il parvient finalement à convaincre la Cour suprême de retirer l’immunité parlementaire de Pinochet (il s’était autodéclaré sénateur à vie) puis, en l’an 2000, à interroger le dictateur et le mettre en examen pour séquestrations et assassinats d’opposants.  Il établit, en s’inspirant du droit international, que la disparition d’une personne est un crime permanent qui dure jusqu’à ce que l’on retrouve la trace de la personne disparue. Cette jurisprudence en droit chilien fait que l’on ne peut appliquer ni les lois d’amnistie ni les temps de prescription. Plusieurs juges chiliens utiliseront cette jurisprudence pour condamner des tortionnaires et des assassins membres des services secrets et de répression de la dictature (DINA et CNI). Mais en 2001, la Cour suprême déclare un non-lieu en faveur du dictateur sur base du nouveau Code pénal… qui n’est même pas encore entré en vigueur à cette époque ! Malgré tous les efforts du juge, Pinochet meurt en décembre 2010 sans avoir pu être jugé.

Un film : L’histoire des efforts du juge fait l’objet d’un film intitulé Le juge et le général disponible en format DVD sous titré français (2). On y suit l’évolution du juge, ses enquêtes, les témoignages des victimes ou de leurs familles, et les efforts dans ses tentatives d’inculpation du général Pinochet malgré des menaces.

Jac FORTON

(1)  Prix Edelstam
(2)  Envoyer un chèque de 15 euros (DVD + poste) à Maison latina, 27 rue Edmond-Rostand, 38320 Eybens.