Premier roman traduit en français du Bolivien Rodrigo Hasbún

Le premier roman traduit en français du jeune auteur bolivien Rodrigo Hasbún nous entraîne dans l’histoire d’une famille allemande arrivée à La Paz dans les années cinquante. Le récit est mené par quatre voix, les trois filles de Hans Ertl et Reinhard un des amants de l’aînée. A cela s’ajoute en deuxième partie la triste tragédie des révolutionnaires guérilleros traqués et abattus les uns après les autres. Il figure dans la liste d’auteurs pressentis pour les Belles Latinas 2017.

C’est donc à travers les voix émouvantes des trois sœurs que nous découvrons Hans Ertl, le père autoritaire qui a fui Munich et un passé gênant après guerre. Il était le cameraman vedette de Leni Riefenstahl, la réalisatrice de films nazis. Arrivé à La Paz, il poursuit ses chimères et sa passion des documentaires, entraînant fort égoïstement ses deux filles aînées, Monika et Heidi dans une expédition hasardeuse à la recherche d’une cité inca disparue. Pendant ce temps, la mère qui a mal vécu cet exil reste seule avec la benjamine Trixi qui, comme ses sœurs, va nous faire ses confidences. C’est donc ainsi que chaque fille nous livre ses états d’âme, ses difficultés à se construire une identité à côté d’un père si prégnant, et ses problèmes de jeune adulte. Heidi nous confie son attirance pour Rudi, autre Allemand faisant partie de l’expédition; elle finira par repartir avec lui en Allemagne, fondera une famille puis verra son couple se défaire. Monika, elle aussi, ne connaîtra guère le bonheur. Après un mariage raté, une aventure qui tournera court avec son beau-frère, elle se lancera dans l’aventure révolutionnaire, le danger, la traque, la mort des amis et la solitude et elle deviendra l’ennemi public numéro 1  des militaires. Quant à Trixi, la plus jeune, la seule qui entretienne une relation complice avec sa mère, elle connaîtra aussi la solitude et le désespoir, après la mort d’Aurelia, la mère, elle se rapprochera un temps de Monika, puis d’Heidi pour finir seule à La Paz. Cela fait belle lurette que le père a abandonné tout son monde pour une hacienda à Concepción.

Le style est net, précis, le lecteur retrouve sans effort la véritable chronologie des événements à travers les confidences de chacun sur une vingtaine d’années. Dans la seconde partie, deux chapitres à la troisième personne rompent ce rythme et nous rapprochent du récit historique classique. L’un conte la cavale des quatre survivants du commando du Che après son assassinat. L’autre fait se dresser Monika venue clandestinement à l’hacienda demander de l’aide  pour ses guérilleros et son père resté sans doute favorable à l’idéologie nazie dans un ultime affrontement. Tout se mêle donc, fiction, cheminement psychologique, histoire de la guérilla bolivienne. Au lecteur de recomposer le portrait et le cheminement de chaque membre de cette famille et de choisir s’il ressent ou non de l’empathie pour tel ou tel personnage. En effet, l’auteur évite tout ton mélodramatique, laisse subtilement les filles et Reinhard s’exprimer sans se plaindre ni pleurnicher sur leur sort pourtant peu enviable. Il laisse ainsi au lecteur la liberté totale de son jugement et de son ressenti. Ce roman au goût amer mais très intéressant se dévore sans aucune difficulté et laisse présager d’une longue carrière talentueuse pour son auteur.

Louise LAURENT

Les Tourments de Rodrigo Hasbún, traduit de l’espagnol (Bolivie) par Juliette Barbara, éd. Buchet- Chastel, 128 p., 12 euros.