“Mémoires du sous-développement”, classique cubain de Tomas Gutierrez Alea

Un an après la révolution cubaine, Sergio, un intellectuel bourgeois aisé, décide de rester vivre dans son pays malgré l’exil de sa famille vers les Etats-Unis. Mais les bouleversements sociopolitiques viennent changer l’environnement et Sergio se trouve tiraillé entre un passé qu’il refuse et une situation nouvelle à laquelle il n’adhère pas. Il cherche alors à comprendre le contexte dans lequel son pays se trouve, ce qui lui est arrivé, passant en revue sa propre vie et ses relations avec ses maitresses, Elena et Hanna.

Ce chef d’œuvre, invisible depuis longtemps, a été réalisé par un très grand cinéaste cubain dont on connaît surtout la dernière œuvre : Fraise et chocolat (1993). Docteur en droit à 23 ans, Tomas part étudier trois ans le cinéma à Rome où il sera fortement influencé par le néoréalisme.  En 1955, de retour à Cuba, il coréalise avec Julio Garcia Espinosa un moyen-métrage documentaire sur la vie des charbonniers des marécages de Zapata, El Megano.

Le film est confisqué par la police. Toujours avec Julio Garcia Espinosa, il organise en 1959 le Département Cinéma du Ministère de la Culture du gouvernement de Fidel Castro. Puis, il tourne Esta tierra nuestra (1959), premier court-métrage de fiction réalisé depuis l’avènement du régime castriste, consacré à la vie dans la campagne avant la réforme agraire. A l’arrivée au pouvoir des forces révolutionnaires, il tourne son premier long-métrage de fiction Histoires de la Révolutions (1960) et un court-métrage documentaire Asamblea general célébrant les manifestations populaires ayant débouché sur la première déclaration de La Havane. Il est à l’origine de la création de l’organisme du cinéma cubain l’ICAIC. Il réalise La mort d’un bureaucrate en 1966 et Mémoires du sous-développement en 1968.

En 1976, après un an passé à représenter le cinéma cubain dans le monde, il réalise un nouveau chef d’œuvre La Ultima Cena puis Les Survivants (1978). En 1979 arrive l’heure de la consécration : Mexico puis New York organisent les premières rétrospectives de son œuvre, tandis qu’il est l’invité des Festivals de Berlin et de Cannes. En 1993, avec Juan Carlos Tabio, il réalise Fraise et chocolat qui ouvre le XV Festival International du Nouveau Cinéma Latino-américain à La Havane. Déjà très malade, Tomas Gutierrez Alea (qui pendant des années s’était vu refuser l’accès au territoire américain pour son activisme politique pro-castriste) est accueilli à Hollywood pour la nomination de Fraise et chocolat aux Oscars 1995 dans la catégorie Meilleur Film Etranger. L’année suivante, il s’éteint à l’âge de 67 ans. Il n’aura réalisé qu’une douzaine de longs métrages.

Dans la revue de cinéma du festival de Toulouse de 2013, Magali Kabous écrit « Tout dans “Mémoires” n’est que politique, chacune des conversations, même la plus anodine, recèle un contenu idéologique et débouche sur une prise de position. Par exemple, une simple visite de la maison cubaine d’Hemingway où il se trouve au même moment qu’un groupe de touristes russes, devient l’occasion d’une métaphore sur la situation de Cuba prise entre deux grandes puissances en temps de Guerre froide ».

Un film indispensable pour connaître le castrisme des années soixante. L’adaptation d’un autre roman de Edmundo Desnoes, Memorias del desarrollo, a été réalisée en 2010 par Miguel Coyula.

Alain LIATARD

Dans le journal Libération daté du 12 juillet, Philippe Lançon analyse également sur deux pages le film et en délivre sa critique… Bande-annonce ici