Retour sur un pan de l’histoire chilienne à l’occasion de la sortie en salles de “Colonia”

Ce mercredi sort en salle le film Colonia du réalisateur allemand Florian Gallenberger. Il rappelle une des périodes les plus sombres de l’histoire du Chili dont les 17 ans de la dictature du général Pinochet (1973-1990). Cette dictature avait reçu le soutien de divers secteurs civils dont celui d’une enclave sectaire d’Allemands, à 350 kilomètres au sud de Santiago et  dirigé par un pédéraste d’origine allemande Paul Schäfer. Nous profitons de la sortie du film qui, bien que basé sur des faits réels, est quand même une fiction, pour rappeler ce que furent vraiment la Colonie Dignidad et son guru sectaire.

Photo : Allocine

L’histoire de Paul Schäfer

Né en 1921 à Siegburg, près de Bonn en Allemagne, Schäfer passe la guerre en tant que caporal-brancardier dans l’armée de terre allemande. Après la guerre, il entre dans une secte religieuse dans laquelle il est responsable du travail avec les enfants. Expulsé de la secte suite à des plaintes de parents pour viols d’enfants, il fonde une « Mission sociale privée » dans laquelle son autorité est chaque jour plus dictatoriale. Suite à de nouvelles plaintes de parents et pour échapper à la justice, Schäfer décide d’émigrer au Chili avec toute sa secte. Il y parvient à la fin des années 50 grâce au soutien de l’ambassadeur chilien en Allemagne, Arturo Maeschke. Sa Mission reçoit l’autorisation de s’installer au Chili le 21 septembre 1961 sous le nom de « Société de bienfaisance et d’éducation Colonia Dignidad ». Schäfer achète 5 000 hectares de terres près de Parral, à 350 km au sud de Santiago. La Colonie vit de ses produits agricoles.

Retranché derrière de hautes barrières de barbelés et de solides murs de béton, il instaure un ordre dictatorial sur une cinquantaine de familles allemandes. Hommes et femmes vivent à part, les intimités sont très contrôlées et uniquement destinées à procréer, les enfants sont séparés de leurs parents. Plusieurs des responsables de la Colonie abusent des enfants. Les autres sont mis en esclavage et terrorisés. Cependant, offrant éducation et soins gratuits à la population locale, la colonie Dignidad est plutôt bien vue par les gens de la région, où son influence grandit. Se sentant menacée par la réforme agraire d’Allende, les chefs de la Colonie accueillent le coup d’Etat de Pinochet avec soulagement et mettent leurs installations à la disposition de la dictature. La Colonie devient un centre de torture. Plusieurs anciens prisonniers disent y avoir été emmenés et torturés. Il y aurait alors près de 300 habitants dans la Colonie, en très grande majorité allemands.

En 1979, Paul Schäfer attaque Amnesty International Allemagne en justice pour diffamation. Samuel Fuenzalida, un ancien membre de la DINA, la police secrète de Pinochet, réfugié en Allemagne, est invité à témoigner et déclare au tribunal de Bonn qu’il reconnaît avoir emmené à la Colonie un prisonnier du nom de Álvaro Vallejos Villagrán, dit le Loro Matías, qui a disparu depuis. Il est possible que le Franco-Chilien Alphonse Chanfreau ait également été emmené à la Colonie, d’où il disparaitra pour toujours. De nombreuses familles allemandes sont considérées comme des victimes de Schäfer pour avoir vécu un régime de terreur, de travail forcé, de viols, de traitements inhumains.

Le président allemand reçu par la présidente du Chili

Après la dictature, le statut de la Colonie change : elle perd son titre d’association caritative et devient Villa Baviera. En 1997, accusé de sévices sexuels sur mineurs, Schäfer s’enfuit et disparaît des radars pendant 8 ans. Il est retrouvé et arrêté en Argentine en 2005 et extradé vers le Chili pour y être jugé. Condamné à une peine de 20 ans, il meurt en prison en 2010. Des documents déclassifiés en Allemagne montrent que les divers gouvernements allemands ainsi que leur ambassade à Santiago ont préféré « regarder ailleurs » plutôt que d’intervenir pour arrêter les abus ou pour aider les Allemands qui étaient quasi-prisonniers de leur dictateur Paul Shäfer et de sa clique pédophile.

En juillet 2016, le président allemand Joachim Gauck se rend en visite officielle au Chili. La présidente Michelle Bachelet lui sert de guide personnel pour visiter le Musée de la Mémoire et des Droits humains. Les deux présidents ont ensuite rencontré des victimes chiliennes et allemandes de la Colonie devant lesquelles le président allemand a « profondément regretté le comportement des diplomates de son pays qui ont refusé d’écouter les plaintes chiliennes et allemandes » contre l’enclave. Plus d’une centaine d’anciens habitants ont déposé une plainte commune contre les États chilien et allemand pour avoir permis le développement d’une telle secte. Wilfried Hempel, leur avocat, est un des rares Allemands ayant subi des sévices à avoir pu s’échapper de la Colonie.

Jac FORTON

Bande-annonce du film