Le scénographe argentin Daniel Bianco est à la tête du Teatro de la Zarzuela à Madrid

Nommé en novembre 2015 à la direction du Teatro de la Zarzuela (équivalent de l’Opéra Comique à Paris), l’Argentin Daniel Bianco, une des figures les plus créatives de la scène espagnole et internationale, met en œuvre un projet artistique qui marque un tournant radical dans la vocation de ce théâtre.

Daniel Bianco, né à Buenos Aires en 1958, se forme à l’École des Beaux-Arts en scénographie (spécialité théâtre et cinéma) et à l’École Supérieure des Beaux Arts de la Nation Ernesto Carcova. En 1983 il s’installe en Espagne où il commence à travailler comme scénographe et costumier dans diverses productions d’opéra et de théâtre, en collaborant avec des artistes prestigieux comme Emilio Sagi, Giancarlo del Monaco, Lluis Pascual, Ruggero Raimondi. Son ascension est rapide. Il est successivement directeur technique, directeur artistique et directeur de production dans de grandes institutions : à l’Opéra de Madrid, au Théâtre María Guerrero (Centre Dramatique National de Madrid), à la Compagnie Nationale de Théâtre Classique puis directeur artistique du Teatro Arriaga à Bilbao où il entame une collaboration très fertile avec le grand metteur en scène de théâtre lyrique Emilio Sagi.

La palette de son art scénographique va de l’opéra, la zarzuela, au ballet et au théâtre dramatique. Travaillant avec les plus grands théâtres lyriques et dramatiques en Espagne, Daniel Bianco est très apprécié et demandé à l’étranger. Il travaille régulièrement en Amérique Latine en créant des scénographies pour des opéras à Santiago du Chili, en Argentine, et dans de nombreux pays d’Europe : Belgique, Suisse, Autriche, Lituanie, Italie, Monte-Carlo. En France, il a fait plusieurs scénographies pour des zarzuelas mises en scène par Emilio Sagi au Théâtre du Châtelet et au Théâtre de l’Odéon à Paris ainsi qu’à Avignon et à Toulouse.

Nommé en novembre 2015 à la direction du Teatro de la Zarzuela à Madrid, Daniel Bianco va y conjuguer les deux versants de son parcours, celui de créateur et scénographe, avec celui de gestionnaire du théâtre, en ouvrant davantage ce théâtre à des genres musicaux différents, aux collaborations pluridisciplinaires et aux publics très divers et en particulier aux jeunes. Son défi est de rénover ce genre de théâtre lyrique et de le rapprocher du public néophyte, en particulier des jeunes, en combinant dans sa programmation les traditions propres de la zarzuela avec les apports de nouvelles lectures des œuvres et d’autres types de musique. Bref, il s’agit de resituer la zarzuela dans l’actualité et de construire son futur. Pour la saison 2016-2017, Daniel Bianco propose une programmation amplifiée qui va de divers genres et styles du lyrique aux récitals, concerts, danses, spectacles de cabaret, aux expositions et aux rencontres débats avec le public.

Quels sont les principaux axes de votre politique artistique ?

« Le défi principal de mon projet pour ce théâtre est d’opérer un changement radical, à savoir que ses programmations s’adressent à tous et non seulement à un public fidèle, averti. Je veux séduire et conquérir un nouveau public, avant tout les jeunes. Mon objectif est également d’ouvrir les portes de ce théâtre à des jeunes talents et à un éventail beaucoup plus large de théâtre lyrique, depuis divers types de zarzuelas jusqu’à la revue, la comédie musicale. La philosophie de mon projet consiste à faire découvrir les potentialités et l’actualité de la zarzuela. »

Comment la programmation 2016-2017 reflète ces objectifs ?

« Un des piliers de ma politique, le théâtre lyrique, est représenté par les divers types de zarzuelas : Las Golondrinas de José María Usandizaga, La Villana de Amadeo Vives, Marina de Emilio Arrieta, Chateau Margaux et La viejecita de Manuel Fernando Caballero, Enseñanza libre de Gerónimo Giménez, La gatita blanca de Gerónimo Giménez y Amadeo Vives, Iphigenia en Tracia de José de Nebra. Tout cela avec les meilleurs chanteurs du panorama lyrique espagnol. Des metteurs en scène comme : Giancarlo del Monaco, Lluís Pasqual, Natalia Menéndez qui va faire La Villana inspirée de Peribañez y el Comendador de Ocaña de Lope de Vega, Enrique Viana, un spécialiste du género chico, Pablo Viar avec Frederic Amat vont proposer de nouvelles lectures de la zarzuela. Parallèlement aux représentations de Iphigenia en Tracia, nous présenterons dans le cadre de notre collaboration avec le Musée Thyssen une exposition des œuvres de Frederic Amat liées au théâtre. »

« Un autre aspect important pour moi dans les programmations concerne les reprises, comme par exemple Marina mise en scène par Ignacio Garcia. Un grand théâtre doit remonter ses grandes et importantes créations avec un regard nouveau, en donnant aux jeunes chanteurs la possibilité d’interpréter de grands rôles. Le Teatro de la Zarzuela se trouve dans la petite rue Jovellanos. Mon pari est non seulement d’ouvrir ses portes à tous mais aussi de sortir du théâtre pour représenter la zarzuela dans la rue. Nous le ferons en mai 2017 à l’occasion des fêtes de San Isidro, patron de Madrid, avec un spectacle Zarzuela dans la rue. Le chœur du Teatro de la Zarzuela accompagné par un personnage. » « Le rideau de théâtre », gardien de la mémoire et des secrets de la scène, seront les grands protagonistes de ce spectacle.

Le Teatro de la Zarzuela s’ouvre davantage à des musiques différentes en proposant de nouvelles formes de spectacle…

« Pour moi il n’y a pas de catégories ni de hiérarchie dans la musique. Elle est bonne ou mauvaise. Nous allons proposer diverses formes de concert avec une gamme très ouverte de musiques. Ainsi par exemple un programme, pot-pourri de diverses zarzuelas, le récital de Jeronimo Rauch qui va de la comédie musicale, des romances de zarzuelas à la musique pop, ou encore, dans le cadre de l’année Cervantès, un concert avec les œuvres de grands compositeurs européens comme Massenet, Ravel. Nous allons inaugurer de nouvelles formes de concert comme par exemple Deconcerts avec des grands chanteurs, Rosa Torres Pardo, Rocio Marquez, Joaquin Notario et un récitant. Le concert traditionnel de fin d’année s’appellera Brindis (Toasts) avec plusieurs airs de toast des zarzuelas, des opéras comiques français et des opérettes viennoises. Plusieurs concerts proposent d’autres styles de chant comme par exemple celui de Martirio qui fusionne la copla populaire avec le bolero, le tango, le jazz, la musique cubaine ou celui de la Purissima, une chanteuse « cyclone » qui fusionne la copla, la zarzuela, le jazz et la musique brésilienne. »

Le projet pédagogique est une de vos priorités. Comment est-il conçu ?

« 34 % des productions dans la programmation font partie du programme pédagogique qui s’adresse particulièrement aux jeunes. Dans ce programme il y a par exemple La Revoltosa, une zarzuela classique très connue. Nous allons constituer, après des auditions, un groupe de jeunes entre 18 et 28 ans qui, sous la direction d’un jeune metteur en scène, Jose Luis Ovellano, feront une version libre de cette œuvre. Ça m’intéresse beaucoup de savoir ce que ces jeunes vont faire avec cette œuvre classique et comment le jeune public dans la salle recevra cette    «jeune version» de La Revoltosa. Chaque représentation sera suivie d’un débat. Nous proposons la même chose pour ce qui est de la danse. Il s’agit de la création, en collaboration avec l’Université Carlos III, d’un spectacle La Zarzuela dans la danse sous la direction de la chorégraphe Nuria Castejon. Également dans le cadre du programme pédagogique nous coproduirons avec la Fondation March deux spectacles, La cinesi de Manuel Garcia et Mozart et Salieri de Rimski-Korsakov. »

Pour approcher le public de la musique et du chant, vous avez créé dans le foyer du théâtre un nouvel espace destiné à des spectacles intimistes…

« Pour créer ce lieu de proximité, je me suis inspiré de la formule de concert dans les salons particuliers. J’ai programmé un cycle de ces concerts intimistes où les chanteurs et les chanteuses accompagnés de piano ou d’une guitare proposeront un programme de chansons en parallèle avec la zarzuela qui se jouera dans la grande salle. »

Pour projeter la zarzuela dans le futur et créer un répertoire contemporain à partir de cette saison, vous ouvrez aux compositeurs un concours de projets…

« Je ne suis pas partisan de commandes d’œuvres qui ont à voir avec le goût et les préférences du directeur d’un théâtre. Pour moi c’est plus juste de donner à tous la possibilité de présenter leurs projets d’œuvre dans un concours. Le projet choisi par un jury international sera produit par le Teatro de la Zarzuela. Nous allons produire un projet tous les deux ans. Une création mondiale représente un effort énorme pour ce théâtre. »

Comment allez-vous vous impliquer en tant que scénographe dans les programmations du Teatro de la Zarzuela ? Quels sont vos projets de scénographie en dehors de ce théâtre ?

« Dans la saison 2016-2017 je vais faire dans ce théâtre la scénographie pour La enseñanza libre et pour La gatita blanca. Avant d’être nommé directeur du Teatro de la Zarzuela j’avais beaucoup de contrats déjà signés avec divers Opéras en Espagne et à l’étranger. Tous ces contrats sont signés toujours quelques années à l’avance. L’année prochaine on reprend Le Turc en Italie de Mozart à Toulouse en France et Linda de Chamonix de Donizetti à Rome. En mars 2017 nous inaugurons le Teatro Colon à Buenos Aires avec Don Giovanni de Mozart. J’ai un projet de La damnation de Faust de Berlioz avec Ruggero Raimondi pour janvier 2018. En 2019 je ferai Don Carlos de Verdi à Bologne. Avec ma responsabilité de directeur du Teatro de la Zarzuela, j’ai décidé de ne faire désormais qu’une seule scénographie par an en dehors de ce théâtre. »

Propos recueillis par
Irène SADOWSKA

Site du Teatro de la Zarzuela Madrid