La présidente du Brésil, Dilma Rousseff a été destituée par le Sénat de son pays !

Après une série coups de théâtre, le sénat, tard dans la nuit,  a voté massivement pour l’ouverture d’un procès politique contre la présidente Dilma Rousseff. Cinquante-cinq voix pour, vingt-deux voix contre, une abstention. La présidente est écartée du pouvoir pendant six mois.

Le 17 avril, sous l’impulsion de Eduardo Cunha, président de la Chambre des députés, celle-ci avait voté (317 voix pour, 137 contre) le renvoi vers le sénat de la procédure de destitution de la présidente Dilma Rousseff pour “crime de responsabilité” administrative. Cunha accuse la présidente d’avoir retardé le remboursement de sommes dues à la Banque publique pour pouvoir montrer un déficit des comptes publics moindre qu’en réalité en 2014. Cette procédure dite du “pédalage fiscal” a été utilisée depuis 30 ans par tous les présidents précédents et plusieurs gouverneurs de province sans problème. Il s’agit donc clairement d’une action politique menée par la droite : après avoir perdu les élections par quatre fois devant le centre gauche de Lula da Silva puis de Dilma Rousseff, la seule manière de reprendre le pouvoir était par la force. Mais plus besoin de l’armée pour faire un coup d’État, un Congrès corrompu fera l’affaire. Début mai, le Rapporteur du sénat, Antonio Anastasia, du parti d’opposition Social-démocratie (PSDB, droite), recommande la poursuite de la procédure de destitution. Il a évidemment oublié qu’il avait lui-même utilisé les opérations qu’il reproche aujourd’hui à la présidente lorsqu’il était gouverneur de l’État du Minas Gerais ! Une Commission sénatoriale confirme ensuite cette recommandation par quinze voix contre cinq.

Premier coup de théâtre : les accusateurs accusés, Eduardo Cunha suspendu !

Début mai, le procureur général de la République, Rodrigo Janot, demande au Suprême Tribunal Fédéral (Cour suprême), la mise en examen de Eduardo Cunha, Aecio Neves, Fernando Cardoso (1) et une trentaine de politiciens pour corruption dans le scandale Petrobras. Les trois hommes sont les principaux instigateurs de la procédure de destitution contre la présidente Dilma Rousseff. En fin de semaine dernière, à l’unanimité de ses 11 membres, le Tribunal suprême suspend pour un temps indéterminé le président de la Chambre des députés Eduardo Cunha de son poste de parlementaire. Il est accusé d’avoir utilisé sa position pour “réaliser des actes de délinquance, intimider ses adversaires et faire obstacle aux enquêtes” liées au scandale Petrobras. Il avait nié  tout acte de corruption mais la justice suisse a fait parvenir à la brésilienne des documents prouvant qu’il avait caché plus de quatre millions d’euros d’origine douteuse (vraisemblablement Petrobras) dans un compte suisse. Sa qualité de parlementaire lui avait procuré une immunité qui vient de tomber. Il est remplacé par le député Waldir Maranhao, du Parti Progressiste (PP, droite). Ce parti s’était retiré de la coalition au pouvoir et ses représentants avaient voté en faveur de la destitution, tous sauf Maranhao !

Deuxième coup de théâtre : annulation du vote de destitution

À peine nommé, Waldir Maranhao, annule “pour vices de forme” le vote de la Chambre qui, en avril dernier, avait approuvé l’ouverture d’une procédure de destitution. Il justifie sa décision par trois raisons : il y eut “pré-jugement, attaque aux droits de la défense et orientation indue des partis politiques envers leurs membres”. Il appelle à une nouvelle session de délibération suivie d’un vote. Selon Maranhao, de très nombreux députés avaient annoncé ce qu’ils allaient voter ce qui signifie un “pré-jugement” qui affaiblit les droits de la défense. Un autre vice de forme est le fait que les partis ont donné l’ordre à leurs députés de voter selon la consigne du parti et non selon leur conscience : “Dans un dossier aussi sérieux que la destitution d’une présidente, les parlementaires doivent voter selon leur conviction personnelle et librement”, et non selon une consigne politique. Sa décision provoque une grande confusion. La Bourse baisse de 2 % !

Troisième coup de théâtre : le sénat annule l’annulation

Dès l’annonce de l’annulation décrétée par Maranhao, la présidente Dilma Rousseff se montre très prudente : “Il faut comprendre ce qu’il se passe… Nous vivons une conjoncture marquée par les ruses et les pièges… Restons prudents”. Elle avait raison : quelques heures plus tard, le président du sénat, Renan Calheiros rejette la demande “intempestive” de son collègue et déclare que la procédure se poursuit. La Bourse remonte !

Quatrième coup de théâtre : Maranhao fait volte-face !

Mardi 10 mai après-midi, Waldir Maranhao retourne sa veste et déclare sans aucune explication, non seulement qu’il annule sa proposition de faire revoter la Chambre des députés, mais qu’il soutient le courant qui réclame la destitution de la présidente. Selon le journal O’Globo, il aurait été menacé d’expulsion par la direction du Parti Populaire (conservateur) s’il ne retirait pas sa proposition ! En fin de journée, les avocats de la présidente déposent devant la Cour suprême un recours lui demandant d’annuler la procédure de destitution. Mercredi 11 au matin, le juge Teori Zavascki déclare que ce n’est pas au Pouvoir judiciaire, en ce cas la Cour suprême, de juger les actions du Pouvoir législatif, mais au même Pouvoir législatif, en ce cas la Chambre haute, c’est-à-dire au sénat. Le vote peut donc avoir lieu.

 Vote décisif au sénat mercredi 11 mai

Le mercredi 11, le plenum vote pour ou contre l’ouverture d’un procès contre la présidente. Chaque sénateur a droit à 15 minutes de présentation. Pour le Rapporteur de la Commission sénatoriale Antonio Anastasia, “Il ne s’agit pas de criminalisation de la politique fiscale, mais de la façon dont cette politique a été exécutée : l’utilisation irresponsable d’instruments financiers”… En pratique, il s’agit du fameux “pédalage fiscal” : la présidente a remboursé la Banque publique avec retard des sommes destinées à couvrir les dépenses sociales sans demander l’autorisation du Parlement. Pour l’avocat général de l’Union, José Eduardo Cardozo, défenseur de la présidente, “Pour qu’il existe une cause de destitution, il est nécessaire qu’il y ait un attentat à la Constitution, une situation d’extrême gravité… Ce n’est pas le cas. C’est ce qui se passe qui est un attentat à la Constitution, un coup d’État”.

Le sénat écarte la présidente Dilma Rousseff pour six mois

Au tout petit matin du jeudi 12 mai et après une nuit tumultueuse, le sénat, par 55 voix contre 22, a voté l’ouverture d’un procès politique contre la présidente Dilma Rousseff. Cette décision suspend la présidente pendant six mois. Pendant ce temps, la présidence sera tenue par Michel Temer, son vice-président passé à l’opposition fin mars. À la fin du procès qui pourrait avoir lieu en septembre, si deux tiers des sénateurs (54 sur 81) votent pour la destitution, la présidente sera définitivement écartée et Temer restera président jusqu’aux élections de 2018. Si ce quorum n’est pas atteint, la procédure est abandonnée et la présidente continue son mandat jusqu’aux élections. C’est ainsi que 54 sénateurs dont plusieurs dizaines ont été mis en examen pour corruption dans le scandale Petrobras, prennent le pouvoir que 54 millions d’électeurs leur avaient refusé en 2014… Après le Honduras en 2009 et le Paraguay en 2012, c’est au tour du Brésil de subir ce qu’on appelle aujourd’hui un coup d’État institutionnel.

Jac FORTON

(1) Aecio Neves fut le candidat de droite qui perdit les élections de 2014. Cardoso est un ancien président de la République. Tous deux ont également été accusés de corruption dans le scandale de Petrobras.
(2) Cité par le journal Página12 du 2 Mai 2016.
Photo (CC) : Agência Brasil Fotografias