L’Uruguayen Pablo Casacuberta et son roman “Ici et maintenant”

L’an dernier, les lecteurs français pouvaient enfin découvrir le talent de Pablo Casacuberta, un Uruguayen dont le premier livre remonte à 1990, que la critique a immédiatement reconnu comme l’une des voix les plus originales de la narration latino-américaine. Scipion les plongeait dans une ambiance entre Bioy Casares et Nabokov, disions-nous alors. Ici et maintenant confirme tout le bien que nous en pensions il y a un an. Il est attendu en France pour nos prochaines Belles Latinas en novembre 2016.

En appelant leur fils aîné Máximo, les parents du jeune héros du roman ont sûrement mis la barre un peu trop haut, c’est tout du moins ce qu’il ne cesse de penser, le pauvre, comment assumer d’être le plus grand ? Et le bilan qu’il tire de sa courte vie (il a dix-sept ans) est complètement négatif. Pourtant, malgré ses complexes, il est déjà un puits de science, grâce aux deux revues auxquelles il est abonné et, s’il est un peu sauvage, il est pourtant plutôt “normal” dans une famille qui se veut, se dit et s’affiche comme “normale” malgré l’absence assez mystérieuse du père.

En moins de quarante-huit heures, la vie va lui offrir la possibilité de devenir enfin adulte en lui permettant d’accéder à la Vérité, rien de moins. Poussé par sa mère qui s’inquiète de le voir aussi inactif (elle oublie ses passions culturelles), Máximo répond à une petite annonce qui recherche un groom dans un hôtel de classe internationale, là aussi la barre a été mise très, très haut ! L’entretien préliminaire, mené par la patronne et non par son vieux mari, propriétaire des lieux, lui donne, moyennant un petit coup de piston, l’emploi souhaité. Revêtu du prestigieux uniforme de la fonction, pas vraiment à sa taille, il débute immédiatement. Vingt-quatre heures après ses premiers pas dans la fonction, il n’aura plus rien de l’adolescent douloureux et râleur, il aura percé les zones troubles qui l’entourent et il se sera réconcilié avec lui-même et avec les autres, tous les autres.

La subtilité, voilà le mot qui définit le mieux ce roman rempli de drôlerie et d’humanité. Il faut voir ce que devient ce garçon mal dans sa peau et dans sa famille, avec sa carapace d’un savoir purement formel sur le monde des insectes ou sur le nom des familles d’éléphants, une carapace aussi lourde à porter que son prénom ou que sa famille bancale qu’il ne comprend pas et qu’il rejette.

Tous les personnages, tous, semblent mystérieux, et ils le sont tant qu’on ne fait que les observer de loin, avec un regard d’entomologiste. Si, par hasard ou par volonté, ou parce que cela nous est imposé on change de focale, ils changent, au point de se fondre en nous… ou nous en eux. Rien ni personne finalement n’est ce qu’il semble être, voilà le secret, et la grande leçon dont bénéficient à la fois Máximo, qui, à la fin, ressemble à son prénom, et le lecteur. Le miracle, c’est que cette leçon de vie se fait dans la joie, l’émotion qui débouche sur le bonheur.

Christian ROINAT

Ici et maintenant, de Pablo Casacuberta, traduit de l’espagnol (Uruguay) par François Gaudry, éd. Métailié, 176 p., 17 €. SITE.
Scipion, de Pablo Casacuberta, traduit de l’espagnol (Uruguay) par François Gaudry, éd. Métailié, 264 p., 18 €. SITE.
Photos : © Philippe-Matsas – pour les éditions Métailié