Le Gouvernement et les FARC se donnent six mois pour signer la paix en Colombie

Le pouvoir exécutif et les acteurs de la guérilla annoncent la création d’un système judiciaire qui jugera tous les acteurs du conflit. Le 23 mars 2016 sera la date limite pour qu’un accord soit conclu.

La paix, que des générations de colombiens rêvent depuis cinquante ans, semble un projet de moins en moins chimérique. Le gouvernement et la guérilla des FARC ont fait ce mercredi 23 septembre un grand pas dans les négociations, entamées il y a presque trois ans, pour mettre fin à un conflit qui a généré plus de 220 000 morts. Le président colombien, Juan Manuel Santos, et le leader des FARC, Rodrigo Londoño, alias Timochenko, ont annoncé, en présence de Raúl Castro, à la Havane, un accord sur la justice de transition et se sont donnés six mois pour signer l’accord de paix définitif.

Les équipes responsables des négociations du gouvernement et les FARC, Santos, qui se rendait pour la première fois à La Havane depuis le début du processus de paix, et Timochenko, qui avait troqué son uniforme militaire contre une veste blanche en toile légère, sont allés là où personne ne l’avait fait jusqu’à présent : ils ont annoncé un accord de justice garantissant l’absence d’impunité, et arrêté la date du 23 mars 2016 pour signer la paix. Au-delà de cet accord les FARC auront soixante jours pour rendre les armes. « Je veux souligner le pas que les FARC ont fait. Nous sommes adversaires et de bords différents, mais aujourd’hui nous avançons dans la même direction, celle de la paix » a déclaré Santos, alors que Timochenko déclarait sa « grande satisfaction » à propos de l’accord conclu. Quant à Raúl Castro il a salué la réussite de cet accord : « La paix en Colombie n’est pas seulement possible, elle est indispensable. Bien qu’il reste d’énormes difficultés à surmonter, nous avons la certitude qu’elles seront vaincues « . Il a ensuite encouragé Santos et Timochenko à se serrer la main, poignée de main historique.

L’avancement dans le processus d’entente est régulier depuis fin juillet, quand la guérilla a annoncé un nouveau cessez le feu unilatéral et que le gouvernement a, en contre partie, suspendu les bombardements. Depuis, il n’y a eu que quelques affrontements entre les deux parties. Le problème de la justice a été le point le plus compliqué à régler. L’accord du gouvernement et de la guérilla comporte la création d’une justice transitionnelle basée sur la reconnaissance de la vérité et de la responsabilité, qui concernera tous les acteurs impliqués dans le conflit armé de Colombie, combattants et non combattants, c’est-à-dire les guérilleros, les militaires, les politiques, et aussi les fournisseurs de capitaux aux paramilitaires (milices anti guérilla, responsables de l’assassinat de milliers de militants de gauche). Ce nouveau tribunal ne dépendra pas du pouvoir judiciaire colombien, mais sera composé de juges colombiens et étrangers, ce qui reste à concrétiser.

Selon le texte, « l’Etat colombien accordera l’amnistie la plus large possible aux délits politiques », dont pourraient bénéficier, selon le procureur général, Eduardo Montealegre, jusqu’à 15 000 guérilleros. « Mais en aucun cas les crimes contre l’humanité, de génocide, les crimes de guerre, les déplacements forcés et les actes de torture  ne seront amnistiés ». 

Plus la vérité sera connue, plus la nouvelle juridiction pourra appliquer des sanctions justes visant à restaurer la liberté et les droits. Les sanctions seront adaptées au préjudice des victimes, par exemple démantèlement des cultures illicites et redistribution des terres aux paysans, construction d’infrastructures dans les zones touchées, aide au retour des populations déplacées pendant le conflit. Ceux qui avoueront des délits graves bénéficieront d’une peine aménagée de cinq à huit ans de « restriction de liberté », aux conditions encore floues, seulement s’ils travaillent à la réparation de leurs victimes. Ceux qui ne confesseront que « tardivement » purgeront leur peine en prison pendant cinq à huit ans, et ceux qui nieront leur rôle dans de tels délits, avant d’être reconnus coupables, encourront jusqu’à vingt ans de prison.

Les peines réservées aux guérilleros par la justice transitionnelle ont été un des sujets les plus controversés autour de la table de négociation. Pour les FARC il était hors de question d’accepter des sanctions d’emprisonnement. « Personne ne négocie pour finir derrière les barreaux » a fini par dire le président Santos. Alors que l’ex président Álvaro Uribe avait déclaré à la presse qu’au moins les dirigeants de la guérilla devraient aller en prison. Quelques « urubistes« , dont Alfredo Rangel, ont ajouté que le gouvernement avait  « honteusement caché à la population qu’il n’y aurait pas de peines de prison pour les FARC, comme cela avait été convenu ».

Après le problème de la justice, deux autres points ont été discutés : celui de la vérité, avec la création déjà faite de la Commission de la Vérité (en juin dernier), et celle de la Réparation qui est prévue prochainement, et acceptée par presque tous. Reste maintenant aux négociateurs à clore le dernier sujet, sur les six qui composent l’accord : celui de la vérification de son application, et la prise de toutes les garanties pour que le conflit prenne définitivement fin.

D’après Javier LAFUENTE
du journal El Pais
Catherine TRAULLÉ

RAPPEL DES FAITS

Le conflit armé de Colombie a fait plus de 220 000 morts, parmi lesquels 177 307 civils, les autres étant des combattants, selon les données du Centre de Mémoire Historique colombien. La guerre qui a marqué l’histoire récente du pays a affecté d’une façon ou d’une autre sept millions de personnes, selon ce qu’indique le Registre Unique des Victimes. Ce même registre, qui a recueilli des données depuis 1984, estime que 6 414 700 personnes ont été déplacées à cause de la violence.

Par ailleurs, près de 55 000 personnes ont été victimes d’un acte terroriste, et 11 000 autres ont des séquelles physiques dues aux mines antipersonnel. Le registre des victimes montre aussi que 130 000 personnes ont reçu des menaces pendant le conflit, que près de 75 000 ont été dépossédés, et que plus de 21 000 ont été séquestrés. Dans d’autres registres il est fait état de plus de 25 000 disparus et de 1754 victimes de violences sexuelles dans le cadre du conflit armé.

D’après Sally PALOMINO