La crise n’est pas grecque, européenne ou chinoise, elle est mondiale

L’essoufflement de la croissance économique chinoise n’est pas surprenant. Le spécialiste argentin en économie politique et en sciences sociales Julio Gambina (photo) décrypte dans son blog cette nouvelle crise qui, selon lui, n’est pas chinoise mais mondiale.

En un mois, entre mi-juin et mi-juillet 2015, la bourse de Shanghai, une des villes emblématiques de l’expansion économique chinoise, a perdu 30 % de sa valeur et en une année, sa dette a cru de façon exponentielle. Jusqu’à maintenant, on entendait parler seulement de la croissance économique chinoise, surtout depuis le début de la modernisation de son modèle économique en 1978. Les taux de croissance annuels chinois, de 10 % ou plus, le confirmaient. Ces derniers temps, on parle de décélération avec des taux de 7 %, très supérieurs à l’évolution de n’importe quelle économie de pays développés, émergents ou sous-développés. La question est de savoir si, face à cette nouvelle situation de crise, cela pourra continuer et si le taux de croissance sera affecté et si le système mondial sera entraîné dans une nouvelle spirale récessive.

La question se pose pour notre pays. La Chine est l’un des principaux clients de l’Argentine ainsi que son nouveau fournisseur de capitaux. Les investissements et les prêts chinois ont effectivement remplacé ceux que le système mondial refuse aux Argentins. Cette situation, assez répandue dans la région latino-américaine et caribéenne, fait désormais partie des préoccupations des gouvernements et des peuples de la région. Le succès du système masquait une croissance qui renforçait toutes les formes de relations capitalistes ; parmi elles, le travail salarié stimulé par des investissements étrangers d’entreprises transnationales soutenues par l’État.

Les relations capitalistes, l’argent, l’État et la dette

Cela suppose l’insertion de la Chine dans l’économie mondiale comme grand producteur de produits manufacturés et comme gestionnaire d’une fabuleuse masse d’argent, utilisée principalement pour soutenir le déficit des États-Unis. La Chine est ainsi devenue le principal créditeur du plus grand État capitaliste ayant la dette publique la plus élevée du monde. Ces relations sino-américaines de production, de distribution, d’échanges et de consommation ont consolidé un mode de développement fondé sur l’expansion de la surconsommation intérieure ainsi que sur l’exportation. En d’autres termes, cela a favorisé le déploiement d’un système de crédit et d’investissements spéculatifs sur divers marchés, comprenant en particulier la « bulle » immobilière, le crédit personnel et les crédits aux entreprises locales.

L’intervention de l’État chinois a pour objectif de stimuler l’expansion des relations marchandes et monétaires capitalistes. Il semblait jusqu’alors que le géant asiatique, monté sur le podium de la production et de l’économie mondiale, restait en dehors de la crise mondiale du capitalisme. De fait, la Chine dispute la suprématie de la production mondiale aux États-Unis et certains prédisaient même l’apparition d’une nouvelle puissance hégémonique dans le système mondial, répétant ainsi des changements déjà survenus dans l’histoire du capitalisme. Mais il semble que non. La bulle spéculative passe aussi par la Chine, cet État qui possède une forte capacité d’intervention avec ses 4 000 milliards de dollars de réserves internationales. Cela contribue à renforcer les craintes à propos du contrôle de la crise économique et de ses effets désastreux, notamment pour les secteurs les plus vulnérables. L’État américain possède, pour agir contre la crise, le monopole de l’émission du dollar. La Chine agit avec ses actifs globaux, surtout américains, et tente de faire circuler sa monnaie dans le monde entier. Pour cela, elle généralise des accords fondés sur les échanges en monnaie locale. L’objectif est la mondialisation du yuan, la monnaie chinoise. À partir de là, l’État chinois, propriétaire des grandes entreprises et gérant la régulation de la politique économique, peut intervenir pour mitiger les effets inévitables de la crise.

L’émission de monnaie comme politique anticrise

Une crise qui, répétons-le, est mondiale. Cela est devenu une évidence en 2007-2008 à Wall Street, sur le marché immobilier, puis pour toute l’économie étatsunienne. Elle s’est ensuite propagée dans le monde entier selon des degrés et une visibilité variables d’un pays à l’autre, en Espagne et dans toute l’Europe, avec la Grèce au centre de l’attention et des préoccupations actuelles. Pour tous ces pays, la question de la dette est centrale. C’est un mécanisme utilisé pour retarder les effets de la crise et essayer de la dépasser. Les États-Unis ont besoin, presque tous les ans, de l’autorisation du Congrès pour augmenter le plafond de leur dette, équivalente à 100 % de leur PIB. Parallèlement, cette dette engendre des intérêts qui doivent être remboursés. Le problème budgétaire devient alors un problème structurel et d’année en année la dette augmente et nourrit un déficit budgétaire (dépenses supérieures aux recettes) dû à des émissions de dettes sans limites, qui dépasse les capacités de chaque État à réguler la circulation de sa monnaie. Les États-Unis ont obtenu depuis 1945 la prérogative d’imposer au monde la circulation et la domination du dollar, même après la crise de la convertibilité de 1971. Aujourd’hui, avec la menace d’augmenter les taux d’intérêt, ce qui provoquerait la chute des autres monnaies et les prix déprimés des matières premières d’exportation, ils pourraient imposer leurs conditions pour sortir de la crise du capitalisme sur la base de leurs intérêts nationaux et de la domination transnationale globale. Les États-Unis veulent attirer les capitaux excédentaires dans le système mondial, constamment à la recherche de rentabilité et de sécurité.

Dans le cas grec, l’État est contraint par les engagements imposés par l’Euro-groupe et le monopole de l’émission de l’Euro, que certains ont tenté de supprimer sans succès, en suggérant de réinjecter des euros virtuels dans le système monétaire grec. Cela faisait partie de ce qu’on appelle le « Plan B » pour la crise économique grecque et aussi pour les autres pays coincés par la logique de l’euro et l’hégémonie orthodoxe de l’Allemagne et de son gouvernement. Une alternative eut été un système équivalent aux bons provinciaux argentins émis pendant la crise de 2001. Cette « quasi-monnaie » facilitait les échanges entres les habitants de l’Argentine, au-delà, bien sûr, des réductions d’avoirs comptables et des restrictions du secteur privé sur la circulation de ces titres publics. Ce même argument a été utilisé par des associations de troc, reconnues et validées par la société, en dépit de la fraude et de la spéculation dont ces moyens de paiement ont aussi fait l’objet. Ces « monnaies parallèles » ont disparu avec le temps, mais l’État et la société peuvent les imposer, même transitoirement, comme moyens d’échanges et de paiement. La souveraineté des États nationaux est remise en question par la crise actuelle et ses manifestations monétaires qui expliquent, selon la CEPAL, la volatilité monétaire de l’Amérique latine. Les pays proposent des réponses conjoncturelles différenciées selon les cas, certains dévaluant leur monnaie, d’autres retardant les mesures avec des politiques différenciées, mais tous agissant dans une logique de subordination au dollar ou aux monnaies acceptées sur le marché capitaliste international.

La crise, l’hégémonie et l’alternative

Ainsi, nous affirmons depuis un certain temps déjà que la crise n’est pas seulement celle des pays médiatisés pour leurs difficultés économiques comme le Brésil, la Grèce ou la Chine, mais que le problème est celui du capitalisme dans son ensemble et donc que le problème majeur qui empoisonne le système mondial est celui des relations sociales capitalistes et de l’exercice du pouvoir mondial par le principal État capitaliste, les États-Unis, qui exerce avec la force du dollar, les armes et la symbolique du pouvoir culturel, une hégémonie mondiale. Ses recettes imprègnent des institutions telles que l’OMC, le FMI ou la Banque Mondiale qui formulent des politiques avec des prétentions universelles et qui, de cette manière diffusent des recettes de libéralisation au cours des sommets et dans tous les protocoles d’assistance aux pays dans le besoin. Quand les recettes ne fonctionnent pas, c’est toujours la responsabilité des pouvoirs locaux qui les appliquent mal, jamais celle du système idéologique qui promeut ces mesures.

J’entends la difficulté de casser la logique des recettes du pouvoir dominant pour dépasser la crise et rétablir la normalité des valeurs et de l’épargne. Cela suppose de transcender l’ensemble des valeurs culturelles de la société capitaliste, de son modèle de production fondé sur l’exploitation et le pillage, mêlé à une culture de surconsommation stimulée par les remboursements d’une dette irresponsable soutenue par le système financier et les politiques publiques du capitalisme contemporain. Nous nous trouvons face au défi historique de concrétiser les propositions émancipatrices qui, jusqu’à maintenant, n’ont pas tenu face au projet de domination. Comme nous avons l’habitude de le dire, cela semble être une tâche gigantesque qui naît du débat et de la construction d’une pratique sociale d’un autre ordre social et culturel de coopération, de solidarité et de pensée en harmonie avec le métabolisme social ; ce qui suppose le respect de la reproduction de la nature, c’est-à-dire l’inclusion de la reproduction de l’humanité et de son habitat dans la société.

Julio A. GAMBINA
Traduit de l’espagnol (Argentine) par
(André DELMAS