Le roman “Les bandits” : un opéra grandiose sur l’économie moderne

Voulez-vous prendre une grande leçon sur notre histoire économico-politique récente : les crises, les divers éclatements de “bulles” successifs, les trahisons des uns, les tromperies des autres ? Voulez-vous aussi plonger dans la noirceur de la guerre froide, remonter à ses sources, dans les années trente, quand le communisme était considéré par beaucoup encore comme la solution de tous les problèmes occidentaux, et par d’autres comme “la” bête à abattre ? Et surtout, voulez-vous le faire avec le sourire aux lèvres ? Il est alors indispensable de lire le nouveau roman de Jorge Volpi, qui traite de tout cela et de bien d’autres choses encore dans une ambiance de jeu de massacre, réplique exacte de notre réalité.

Si l’on s’en tient aux résumés proposés par les éditeurs, il s’agit d’un roman sur la “haute” (!) finance et la crise boursière de 2008. En réalité, le sujet central, c’est un certain Jorge Volpi, né à New-York de parents juifs venus de Pologne, menteur et escroc, mauvais fils et mauvais père, dont le seul charme, peut-être, est l’humour cynique (Jorge, si on se croise un de ces jours, à Lyon par exemple, s’il te plaît, ne me fais pas mauvaise figure!). Il faut l’entendre raconter la naissance de ses jumeaux, ou décrire ses relations avec sa mère : Nabokov lui-même est dépassé ! Pourtant, derrière ce masque pointe de temps en temps un être humain (le narrateur) qui cherche désespérément à dissimuler ses failles.

La faille principale de Jorge Volpi est une question sans réponse : son père Noah a-t-il été un espion pro-soviétique ? Il a été un proche collaborateur de Harry Dexter White, brillant économiste et l’un des créateurs du FMI, qui a été lui-même soupçonné par la terrible Commission des activités anti-américaines. L’enquête (Jorge veut à tout prix connaître la réalité de ce père, mort brutalement peu avant sa naissance) s’étend au long des pages du roman, tout en suivant la brillante carrière de Jorge Volpi lui-même, qui, avec quelques complices aussi dépourvus de scrupules que lui, monte une de ces affaires dont on sait maintenant qu’après avoir considérablement enrichi leurs créateurs, elles se terminent par un spectaculaire effondrement et la ruine de plusieurs milliers de personnes honnêtes (si ce mot a un sens).

On est dans le royaume de l’égoïsme, puisque le récit multiforme est un hommage appuyé au rêve américain : tout pour soi, autrui n’étant qu’un danger de faire capoter vos propres désirs d’enrichissement et de pouvoir. Dans cet univers, les mots amour ou tendresse font évidemment figure de grossièretés ou, pour le moins, d’incongruités. Sur un rythme d’opéra (les chapitres sont une suite d’arias, de cavatines ou de duos), l’équilibre entre espionnage des années 30, finance des années 2 000 et histoire (mouvementée) de la famille Volpi est parfaitement respecté.

Côté espionnage, il ne s’agit pas du tout de James Bond, mais bien de personnes ordinaires, qui se fondent dans une société pour réaliser une mission souvent obscure, d’où la quasi-impossibilité de les démasquer. Côté finance, les trucages destinés à enrichir les organisateurs et à oublier la grande majorité des “actionnaires” sont soigneusement expliqués. Et surtout notre auteur fait ressortir les rapports entre ce lointain espionnage des années 30 et cette actualité, au cours de laquelle la nouvelle Russie s’est étonnamment rapprochée de son ex ennemie mortelle, et où un ex espion du KGB fait le lien avec notre cher narrateur.

Il faut dire que Jorge Volpi, l’auteur, a toujours été, lui, lucide et d’une honnêteté intellectuelle rare, mais aussi un provocateur avisé, qui a une grande confiance dans l’intelligence de ses lecteurs. Bref, tout est réussi, dans ce roman, jusque dans les détails, par exemple le choix de certaines des photos qui accompagnent le texte est vraiment savoureux si on les regarde attentivement ! Ce réjouissant jeu de massacre se lit d’un trait, donne envie de donner un grand coup de pied dans la fourmilière, mais fait-on le poids, face à un personnage comme ce Jorge Volpi, qu’on ne peut que haïr !

Christian ROINAT

–  Les bandits de Jorge Volpi, traduit de l’espagnol (Mexique) par Gabriel Iaculli, éd. du Seuil, 448 p., 22 €.
– Jorge Volpi en espagnol : Memorial el engaño, ed. Alfaguara / En busca de Klingsor / El fin de la locura, ed. Seix Barral / No será la tierra / El jardín devastado, ed. Alfaguara.
Jorge Volpi en français : À la recherche de Klingsor / La fin de la folie, éd. Plon / Jours de colère, éd. Mille et Une Nuits / Le temps des cendres / Le jardin dévasté, éd  du Seuil.
Jorge Volpi sera en France pour participer aux IX Assises Internationales du Roman à Lyon du 25 au 31 mai : Programme complet ici