L’écrivain brésilien Sérgio Rodrigues nous propose “Dribble”

Le football et la littérature font rarement bon ménage. Il y a bien sûr des exceptions, en Argentine par exemple, Eduardo Sacheri joue très finement de son goût prononcé pour ce sport en le faisant intervenir directement dans ses intrigues. Et voici le Brésilien Sérgio Rodrigues, journaliste et romancier, qui recrée une époque de foot et de dictature, les années 60 essentiellement et qui a l’immense mérite de mettre au premier plan une difficile histoire familiale.

Neto est le fils de Murilo Filho, journaliste sportif vedette entre les années 50 et 70 mais une très longue brouille les a séparés pendant plus de vingt ans. Retiré à la campagne, vieilli, presque à bout, le père demande à son fils de reprendre une relation. Neto se rend donc auprès de Murilo, ils passent leurs moments communs en visionnant des extraits de matchs en vidéo, à pêcher près de la maison et à tenter de se parler. Enfant et jeune homme Neto était un garçon timide et renfermé, mal aimé de ses camarades, de son père et de lui-même. Il est écrasé par la forte personnalité du père, brillant commentateur à Rio, qui vit pleinement sa réussite professionnelle et ses multiples succès féminins et il ressemble à un naufragé, tente de grandir avec pour toute figure maternelle une domestique qui vit dans l’admiration aveugle du patron. À plus de trente ans il est toujours un adolescent qui cherche un point d’appui et aussi des explications sur plusieurs zones d’ombre de son enfance, sur la mystérieuse disparition de sa mère en particulier.

Dans cette recherche de la vérité que poursuit le fils, il s’avère impossible de dissocier relations filiales et politique brésilienne : son enfance puis son adolescence se sont déroulées pendant les années les plus noires de son pays. Quant au père, son existence a été entièrement consacrée au foot, et elle le reste. Cela lui permet, et cela permet à Sérgio Rodrigues de curieux mais convaincants parallèles entre le foot et la vie, entre le foot et la littérature : il faut lire ces pages sans oublier le titre !

Sérgio Rodrigues nous offre également une belle description des milieux du football qui ne rebutera pas les lecteurs peu attirés par le sport, même s’il leur faudra passer les vingt première pages, peut-être un peu techniques pour eux. Les terrains deviennent des espaces de lutte classique et, si dans notre actualité il peut nous arriver d’avoir des soupçons de matchs truqués ou de corruption par l’argent, il arrive là-bas, en ce temps-là, que la magie noire influence une victoire !

Sérgio Rodrigues mêle à la perfection ces trois univers, le foot, l’histoire du Brésil des années 60, celle des dictatures qui se succèdent et l’histoire personnelle de ce père et de ce fils, sans omettre un fond musical indispensable dans ce contexte. Mais il va bien plus loin : sous l’apparence d’un roman grand public pour footeux, il offre une superbe composition littéraire qui se double d’une très fine analyse psychologique. Il gagne sur les deux terrains, l’exploit mérite d’être souligné.

Christian ROINAT

Dribble de Sérgio Rodrigues, traduit du portugais (Brésil) par Ana Isabel Sardihna et Antoine Volodine, Le Seuil, 303 p., 21 €.
Sérgio Rodrigues en portugais : O Dribble, Cia das Letras, São Paulo.