Déluge sur le désert chilien

Les pluies torrentielles qui se sont abattues sur le nord du Chili en moins d’une semaine ont provoqué 23 morts et 57 disparus selon les chiffres officiels, cependant ces chiffres ne sont pas définitifs. Ce sont des villes et des villages détruits à 30 ou 50 %, des outils de travail disparus, des vignes et des cultures inondées et des milliers d’habitants ayant tout perdu. Des dommages énormes qui laissent envisager une longue période avant un retour à la normale.

D’après le journal La Tercera, quelques jours avant que ne s’abatte ce torrent d’eau boueuse sur le nord du Chili, notamment dans l’Atacama, la région la plus aride du monde, un météorologue américain de la société de prévisions AccuWeather avait annoncé “un phénomène climatique des plus rares” dans la zone. En moins d’une semaine, les précipitations ont atteint un niveau équivalent à plus d’une année de pluies, emportant les eaux de la cordillère et la terre et avec elles les maisons des villages, les voitures, des vignes, les animaux, détruisant les usines, à une vitesse vertigineuse. Un spectacle dantesque auquel ont assisté les habitants de la région sans rien pouvoir faire pour se protéger si ce n’est fuir sans rien emporter. La population chilienne, habituée aux rigueurs de la nature, a malgré tout su se protéger évitant ainsi que le nombre de victimes ne devienne encore plus important.

Le désastre de ces derniers jours, explique un autre article de La Tercera, “provient d’un flux d’air froid en altitude dans la cordillère qui, en principe, ne touche pas cette région du nord du pays, et ce flux a transporté des courants venus de la zone équatoriale, chargés de vapeur d’eau. Ce phénomène qui a touché cette région réputée pour sa sécheresse pourrait être lié aux changements climatiques, même si les experts se refusent à établir un lien direct. Après l’éruption du volcan Villarrica au mois de février, tous les Chiliens ont assisté soit en direct soit devant leurs écrans, aux ravages d’une nature flamboyante mais implacable et au spectacle dantesque où des hommes, des femmes, des enfants s’enfoncent dans la boue à la recherche de leurs proches disparus.

Pendant l’été austral, le Chili, jadis considéré comme un pays faisant preuve de probité, a été secoué par les affaires politico-financières de la droite, Penta, puis par l’affaire Caval dont Sébastián Dávalos, le propre fils de la présidente Michelle Bachelet est le principal protagoniste, avec sa femme. Puis, alors que la rentrée scolaire était entamée, le pays assiste avec stupeur à ce drame provoqué par la nature. Il se regarde et découvre que la modernité n’est pas celle qu’il imaginait et qu’il existe des failles importantes à corriger dans sa jeune démocratie et que d’importantes poches de pauvreté sont bien installées dans son territoire.

D’après certains spécialistes, cet évènement était prévisible et les médias et météorologues auraient dû alerter les autorités et la population. Très probablement, mais dans cette région “comme depuis 40 ou 50 ans il n’y a pas de pluies, les gens construisent leurs maisons pratiquement sur le lit du fleuve complètement desséché et oublient qu’il y a eu par le passé des situations semblables. Il n’y a pas de mémoire collective, l’ignorance et la spéculation jouent un rôle important dans ce type de catastrophe”, explique le géographe chilien Reinaldo Börgel, expert en catastrophes naturelles et en inondations en zone désertique. Il lance un cri d’alerte aux autorités sur les failles des politiques dans les installations des populations actuelles et insiste sur l’urgence d’une nouvelle planification territoriale. “Ce qui est arrivé dans les zones affectées n’est pas provoqué uniquement par les composantes climatiques et géographiques mais aussi par les politiques urbaines et territoriales”, affirme-t-il.

Ce désastre, qui entraîne un énorme coût économique pour la reconstruction de la région, représente avant tout un coût en vies humaines et signifie des drames pour les familles qui, en plus d’avoir tout perdu ont vu disparaître en un instant leurs êtres chers. C’est le cas de ce jeune travailleur pauvre péruvien venu avec sa femme faire les vendanges dans les vignes où l’on récolte le raisin pour la production du pisco. Les yeux rivés sur leurs écrans de télévision, les Chiliens ont l’ont vu déambuler comme un zombie recouvert de boue au milieu des décombres, chercher jour et nuit sa femme et gardant dans sa douleur l’espoir de la retrouver vivante pour découvrir enfin avec l’aide des pompiers, son corps que le torrent avait emporté 40 km plus loin de son lieu de travail. Les télévisions passaient également en boucle les images de ce jeune apprenti pompier ayant réussi à sauver plusieurs personnes dont un petit enfant au milieu du torrent, tombant à son tour dans le torrent et disparaissant dans les flots. Les hôpitaux, les stades de foot, les maisons de personnes âgées, les commerces, les établissements publics sont sous plusieurs mètres d’eau, d’eaux usées et de boue. Comme souvent, ce fléau a touché particulièrement les foyers les plus humbles de la région. Ces populations vivent sur les hauteurs, sur les cols de la cordillère auparavant désertique ou sur les rives d’un fleuve (Copiapó) qui était desséché depuis une quinzaine d’année.

Les milliers de sinistrés ont souffert pendant plusieurs jours du manque d’eau potable car les puits alimentant les villes ont été mis hors d’usage par la pluie. Ils ont été accueillis dans des abris et dépendent des aides envoyées par le gouvernement, par la population ainsi que l’aide internationale. A une semaine du désastre, la région est en état d’urgence et on a même décrété le couvre-feu dans les lieux les plus affectés pour faciliter les travaux sur les routes et le nettoyage des rues et ainsi éviter les pillages qui malheureusement se produisent dans ces circonstances. Et ce travail de nettoyage, il faut le faire vite car à la boue ce sont ajoutés les eaux usées des canalisations qui ont explosé et l’odeur commence à devenir insupportable, laissant envisager un risque sanitaire d’envergure d’autant plus que les températures ont fortement augmenté. Le port des masques est devenu une nécessité dans ces villes complètement détruites, dans une atmosphère de fin du monde. Les pompiers, les forces de l’ordre et les volontaires creusent avec des pelleteuses ou de simples pelles et remplissent des charrettes de boue, cette boue meurtrière qui a laissé les gens dans le désarroi le plus complet. Les gens ont tout perdu. Au milieu de rien, des fonctionnaires du Registre Civil se sont installés pour refaire les documents d’identité emportés dans les inondations, parce que s’il ne nous reste rien, dit une femme, nous voulons au moins récupérer notre identité.

Olga BARRY
Depuis Santiago du Chili